La tension monte d’un cran à l’Assemblée provinciale du Haut-Uélé. Vendredi dernier, les élus locaux ont vivement dénoncé l’absence jugée « provocatrice » de Junior Swami, directeur provincial de l’Office des routes (OR), convoqué pour s’expliquer sur les retards entravant la reconstruction du pont Bomokandi. Un rendez-vous manqué qui cristallise les frustrations autour d’un dossier aux enjeux à la fois techniques et politiques.
Invérable artère économique reliant Isiro au Sud-Soudan via les territoires de Watsa et Faradje, le pont de 84,5 mètres s’était effondré en septembre 2023. Neuf mois plus tard, le chantier traîne comme une ombre sur la RN26. « 85% des travaux réalisés », assure pourtant M. Swami dans sa défense écrite. Une affirmation qui sonne comme un défi aux parlementaires provinciaux, eux qui dénoncent une « inertie coupable ».
Joseph Mathieu Tinda, initiateur de la question orale, ne mâche pas ses mots : « Ce mépris institutionnel équivaut à un sabotage de la reconstruction de notre province ». La référence à l’article 1755 du règlement intérieur, permettant des sanctions contre les fonctionnaires récalcitrants, marque un tournant. L’exécutif provincial saura-t-il transformer cette mise en demeure en acte concret ?
La justification du directeur absent soulève plus de questions qu’elle n’apaise les esprits. Un « déplacement impératif » à Kinshasa, « validé par le Gouverneur et le ministère des TP » selon ses dires. Stratégie d’évitement ou réel conflit d’agendas ? Le paradoxe est saisissant : celui qui devait rendre des comptes sur les lenteurs locales plaide l’urgence d’une réunion capitale… à 1 700 km du chantier incriminé.
« Je transmettrai les éléments au ministre », promet Junior Swami, renvoyant la balle au gouvernement central. Une rhétorique verticale qui interroge : la décentralisation promise se heurterait-elle aux vieux démons du centralisme kinois ? Les députés provinciaux y voient surtout un déni de reddition des comptes locaux, pierre angulaire de la gouvernance post-constitution de 2006.
Derrière ce bras de fer procédural, c’est l’avenir socio-économique du Haut-Uélé qui se joue. Chaque jour de retard au Bomokandi coûte cher à une région enclavée, où les échanges transfrontaliers représentent 40% de l’activité marchande selon des études locales. Le calendrier avancé par l’OR – livraison dans deux semaines – sera-t-il tenu ? Ou rejoindra-t-il le cimetière des promesses routières congolaises ?
Ce dossier épineux révèle les fractures d’une gouvernance à plusieurs vitesses. Entre Kinshasa qui centralise les décisions et les provinces en quête d’autonomie réelle, le pont Bomokandi devient malgré lui un symbole. Sa reconstruction physique pourrait-elle entraîner celle, plus subtile, de la confiance entre administrés et administrateurs ? Réponse dans quinze jours… peut-être.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net