Dans une mise au point cinglante qui pourrait bien fissurer le principal récit justificatif de Kigali, la communauté Banyamulenge a choisi de rompre un silence politique souvent interprété comme un acquiescement. Par la voix de ses notables, elle a formellement récusé toute tutelle du président rwandais Paul Kagame, infligeant ainsi un démenti cinglant à la rhétorique sécuritaire qui sert d’alibi aux incursions sur le sol congolais. Cette prise de position publique, actée dans un mémorandum signé par des figures comme Enock Ruberangabo et Jean Scohier Muhamiriza, n’est pas une simple déclaration d’intention. Elle constitue un désaveu stratégique qui prive le régime de Kigali d’un élément clé de sa narration et expose au grand jour les véritables motivations, territoriales et économiques, de son activisme en République Démocratique du Congo.
Jusqu’où Kigali peut-il aller dans le déni face à ceux-là mêmes qu’il prétend défendre ? La théorie de la protection des populations congolaises d’expression kinyarwanda, pilier de la communication rwandaise depuis des décennies, vient de se heurter à un mur de vérité factuelle érigé par les premiers concernés. Les signataires ne se contentent pas de refuser un mandat qu’ils n’ont jamais octroyé. Ils qualifient la posture rwandaise de « mensonge d’État », une accusation lourde de sens qui renvoie à une histoire douloureuse et contradictoire. En rappelant les événements traumatisants directement imputables à Kigali – le déracinement forcé de 1996, les bombardements de Minembwe en 2002, la répression au camp de Kiziba en 2018 –, la communauté Banyamulenge dresse un réquisitoire implacable. Comment un régime présenté comme protecteur peut-il être, dans les faits historiques, synonyme de violence et d’expulsion pour cette même communauté ? Cette contradiction fondamentale sape la crédibilité du discours de Paul Kagame et révèle l’instrumentalisation cynique d’une minorité à des fins géostratégiques.
Le conflit RDC-Rwanda trouve ici une nouvelle dimension, moins dans les affrontements armés que dans la bataille des récits. L’accusation portant sur le soutien présumé de Kigali au groupe rebelle Redtabara est particulièrement explosive. En pointant du doigt cette milice accusée d’avoir infiltré les hauts plateaux du Sud-Kivu pour y semer la terreur, les leaders Banyamulenge transforment la dénonciation en preuve tangible de la duplicité rwandaise. Il ne s’agit plus seulement d’une ingérence diplomatique, mais d’une stratégie de déstabilisation par proxy qui utilise la violence contre les populations locales, y compris celles que l’on dit défendre. Cette révélation place la communauté internationale, et particulièrement le Conseil de sécurité de l’ONU, face à ses responsabilités. L’appel à l’application de la résolution 2773 et la demande aux États-Unis de faire respecter les accords de Washington ne sont pas de vœux pieux. Ils constituent une feuille de route urgente pour contraindre Kigali au retrait de ses troupes et mettre fin à cette hybridation entre discours humanitaire et pratique prédatrice.
Sur le plan interne congolais, cette prise de parole forte des Banyamulenge représente également un défi et une opportunité pour le président Félix Tshisekedi. Ce dernier, qui n’a cessé de recadrer son homologue rwandais en rappelant la nationalité congolaise pleine et entière des Banyamulenge, voit ses arguments confortés par les principaux intéressés. La balle est désormais dans le camp de Kinshasa. La recommandation de renforcer le dialogue intercommunautaire est un impératif pour consolider cette rupture salutaire avec la narration de Kigali et ancrer la communauté dans le giron national. L’État congolais saura-t-il saisir cette chance historique pour désamorcer un contentieux exploité depuis trop longtemps par son voisin ? La réponse à cette question déterminera la pérennité de ce rejet.
En définitive, le sévère désaveu infligé à Paul Kagame par les Banyamulenge du Sud-Kivu est bien plus qu’un incident diplomatique. C’est un coup de tonnerre politique qui révèle l’usure d’une stratégie de communication basée sur la manipulation. L’homme fort de Kigali, habitué à jouer les protecteurs autoproclamés, se retrouve désormais nu face à ses propres contradictions. La communauté qu’il instrumentalisait pour justifier ses ambitions régionales lui retire son masque, exposant au grand jour les réalités amères d’un conflit RDC Rwanda alimenté par des intérêts bien éloignés de la protection des peuples. La suite dépendra de la capacité de la communauté internationale à entendre cet appel et de la volonté de Kinshasa à transformer cette froncheur en levier pour une paix durable dans l’Est du pays.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net
