Dans un contexte de tensions exacerbées à l’Est de la République Démocratique du Congo, la rencontre entre le président Félix Tshisekedi et l’opposant Martin Fayulu, jeudi au Palais de la Nation, pourrait marquer un tournant politique inattendu. Fayulu, leader du parti ECIDé, a surgi de cet entretien avec une proposition audacieuse : la création immédiate d’un « camp de la Patrie », un front uni rassemblant l’ensemble des forces politiques congolaises. Une initiative présentée comme la seule parade viable face au naufrage sécuritaire qui engloutit quotidiennement des vies dans les provinces orientales.
« Nous n’avons pas 36 solutions », a martelé Fayulu aux journalistes, son ton empreint d’une urgence inhabituelle. Le constat est sans appel : le pays, miné par des attaques multiformes, manque cruellement de cohésion nationale. Cette proposition de camp de la Patrie vise précisément à fédérer « ceux qui luttent pour leur pays » au-delà des clivages partisans. Mais cette alliance patriotique, si séduisante sur le papier, soulève d’emblée des questions cruciales. Comment concilier les intérêts divergents d’une classe politique souvent fracturée ? Le pouvoir acceptera-t-il de partager l’espace décisionnel avec une opposition qu’il marginalise régulièrement ?
Pour Fayulu, les crises sécuritaire, sociale et politique ne trouveront de résolution que par un dialogue national inclusif. Il a explicitement encouragé Tshisekedi à s’appuyer sur les évêques de la CENCO et les pasteurs de l’ECC, gardiens historiques du pacte social congolais. « Il m’a compris », a-t-il assuré, précisant que le chef de l’État donnerait sa réponse sous peu. Cette référence aux institutions religieuses n’est pas anodine : elle rappelle leur rôle médiateur lors des accords de la Saint-Sylvestre, tout en pointant l’échec des initiatives précédentes à endiguer le brasier de l’Est.
La gravité de la situation décrite par Fayulu donne à cette démarche une légitimité incontestable. « Des familles vivent dans la détresse, des enfants dorment à la belle étoile », a-t-il rappelé, soulignant l’absurdité des querelles politiciennes face à l’hémorragie humaine. Pourtant, l’histoire récente du dialogue national en RDC invite à une certaine prudence. Les multiples tables rondes organisées depuis des années ont souvent accouché de compromis fragiles, rapidement sapés par les réalités du terrain. Le camp de la Patrie saura-t-il éviter ces écueils ?
Cette rencontre Tshisekedi-Fayulu, aussi symbolique soit-elle, place désormais le ballon dans le camp présidentiel. Accepter cette main tendue reviendrait pour Tshisekedi à reconnaître l’impuissance actuelle de sa majorité à juguler la crise. La refuser exposerait son administration aux accusations d’immobilisme criminel. Dans les couloirs de Kinshasa, certains murmurent déjà que cette proposition pourrait bien être un piège habilement tendu par Fayulu pour tester la sincérité des velléités unitaires du pouvoir. Le temps presse : chaque jour de retard dans la réponse présidentielle creuse le fossé de la défiance et alimente le désespoir des populations du Kivu.
L’efficacité du futur camp de la Patrie reposera sur sa capacité à transcender les calculs électoralistes. Si cette alliance parvient à imposer une feuille de route concrète – démobilisation des groupes armés, réforme en profondeur des services de sécurité, relance économique des zones sinistrées –, elle pourrait incarner un sursaut salvateur. Dans le cas contraire, elle ne sera qu’un énième simulacre dans le théâtre politique congolais, tandis que l’Est continuera de brûler. La balle est désormais dans le camp de Tshisekedi : sa prochaine décision révélera la véritable profondeur de son engagement pour l’unité nationale.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net