La scène se répète chaque matin sur le marché central de Kalemie : des étals à moitié vides, des vendeurs désœuvrés, et cette question qui brûle les lèvres des habitants : « Jusqu’à quand devrons-nous subir cette pénurie ? » La décision des autorités burundaises de fermer leur frontière avec la République démocratique du Congo, suite à l’avancée des rebelles du M23 vers Uvira, plonge la capitale du Tanganyika dans une crise aux multiples facettes. À Kalemie, ville qui a longtemps prospéré grâce aux échanges transfrontaliers, l’air est désormais à l’inquiétude et à la débrouille.
Le cordon ombilical économique avec le Burundi est coupé. Les camions qui assuraient l’approvisionnement quotidien via le port de Kalundu à Uvira ne passent plus. Dans les boutiques, les stocks de produits de première nécessité s’amenuisent. « Les boissons gazeuses, certains légumes, et surtout les matériaux de construction comme le ciment venaient directement du Burundi », explique un commerçant, le regard vide posé sur ses rayons presque déserts. La crise d’approvisionnement à Kalemie n’est plus une menace, mais une réalité palpable qui fait grimper les prix et assombrit les perspectives. Comment une ville peut-elle soudainement se retrouver si vulnérable ?
L’impact ne se limite pas aux marchandises. L’économie locale perd aussi une partie vitale de sa main-d’œuvre burundaise. Présents dans des secteurs clés comme la construction, l’hôtellerie ou la restauration, ces travailleurs transfrontaliers ont dû rentrer chez eux ou se trouver bloqués. Leurs absences créent des trous dans la chaîne de production et des services, ralentissant des projets et affectant la vie quotidienne. Cette interdépendance, longtemps perçue comme une force, révèle aujourd’hui sa face fragile. La fermeture de la frontière RDC Burundi agit comme un révélateur brutal des connexions profondes qui unissaient ces deux espaces.
Le drame est peut-être plus criant encore dans le domaine de la santé. Pour des milliers de Congolais de Kalemie et du Tanganyika, Bujumbura n’était pas seulement une capitale étrangère, mais le passage obligé vers des soins spécialisés. « Ici, nous manquons de cardiologues, de matériel de dialyse, de laboratoires équipés. On envoyait les cas graves à Bujumbura, c’était plus proche, plus moderne et souvent moins cher que Kinshasa », témoigne un infirmier, l’air désemparé. Désormais, cette porte se ferme. Des patients se retrouvent pris au piège, leurs traitements interrompus, leurs diagnostics en suspens. Où iront-ils maintenant ? La fermeture frontalière signifie, pour beaucoup, la fin de l’accès à des soins médicaux essentiels.
Face à cette situation, les autorités provinciales du Tanganyika ont pris une mesure radicale, ajoutant une couche supplémentaire d’isolement : la fermeture du trafic sur le lac Tanganyika avec le Sud-Kivu voisin. Officiellement, il s’agit de prévenir toute infiltration rebelle dans un contexte sécuritaire hautement volatile. Mais cette décision coupe également une autre voie d’approvisionnement et de circulation, accentuant le sentiment d’enfermement de la région. Kalemie se retrouve ainsi doublement isolée : par terre avec le Burundi, et par les eaux du lac avec une partie de son propre pays.
Cette crise multifactorielle soulève des questions fondamentales sur le développement et la résilience des territoires congolais. Elle met en lumière la dépendance excessive de certaines zones aux économies et services des pays voisins, faute d’infrastructures et d’investissements nationaux suffisants. La situation à Kalemie doit-elle servir de signal d’alarme ? L’enjeu dépasse la simple réouverture d’un poste-frontière. Il interroge la capacité de la RDC à assurer la sécurité, l’approvisionnement et les soins de ses populations, même dans ses régions les plus reculées. L’urgence est aujourd’hui humanitaire et économique à Kalemie, mais demain, le défi sera structurel pour tout le pays.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
