À l’aube, quand la ville de Kinshasa commence à peine à s’éveiller, Ramath Tesi est déjà à son poste. Debout depuis 5 heures du matin, cette mère de trois enfants de 35 ans prépare le malewa qu’elle vend au marché Brikin, dans la commune de Ngaliema. Son histoire est celle de milliers d’autres. Sous un parasol précaire, elle fait face chaque jour au soleil, à la pluie, et à une réalité bien plus accablante : les tracasseries systématiques de ceux qui sont censés protéger les citoyens.
« Je subis des tracasseries administratives et financières : paiement de 500 francs, argent versé à la commune et aux policiers. Je dois aussi payer pour le Salongo, alors que je balaie moi-même devant mon espace », témoigne-t-elle, la voix empreinte de lassitude. Pire encore, les agents en uniforme lui réclament régulièrement des bières, du sucre, des cigarettes et de l’argent. « Je considère cela comme un abus », lance-t-elle. Comme elle, des centaines de femmes vendeuses à Kinshasa portent seules le poids d’une économie informelle vitale, mais broyée par un système d’exploitation quotidien.
Les conditions de travail dans les marchés de Ngaliema relèvent du défi permanent. À Kinsuka Pêcheur, au virage de Pompage ou au marché Lopoke, le tableau est identique. Pas d’abri fixe, pas de toilettes publiques, une exposition totale aux intempéries. Julie Matondo, vendeuse de braises, le confirme dans un récit poignant. « Je n’ai pas de place pour m’abriter, même pendant la pluie. J’ai vraiment des difficultés : je dois ranger mes marchandises, mais elles se mouillent et les clients n’achètent pas. » Son calvaire ne s’arrête pas là. Chaque samedi, dit-elle, des agents de l’État confisquent leurs biens pour les revendre à une fraction de leur valeur. Un mécanisme de prédation qui étouffe les plus vulnérables.
Ces tracasseries des agents de l’État sont-elles le prix à payer pour exister dans l’espace public ? La question hante les allées des marchés. Mado, vendeuse de fumbwa, évoque une autre pression, économique celle-là : la fluctuation du dollar. « Depuis que le dollar a baissé, la vente est devenue difficile, pourtant le prix du fumbwa n’a pas diminué. » Elle paie aussi, comme les autres, la taxe pour le Salongo, ce travail communautaire, sans jamais voir les agents quand la pluie inonde son lieu de vente. Pourquoi continuer alors ? La réponse est unanime : pour la famille. « Malgré cela, je dois vendre pour le bien-être de ma famille », affirme-t-elle, résumant le moteur de cette résilience incroyable.
Face à cette adversité, certaines optent pour la mobilité, une stratégie de survie. Albertine Dowo, vendeuse de chikwangue à Pompage, a ainsi choisi de devenir ambulante. « Nous passons toute la journée ici, sous le soleil, sans abri et même sans toilettes. Quand on a un besoin, on doit se débrouiller. Les agents nous dérangent souvent en réclamant de l’argent. Ce n’est pas facile, c’est pour cela que je marche avec mes chikwangues sur la tête. » Son témoignage illustre l’extrême débrouillardise à laquelle sont contraintes ces entrepreneuses de l’ombre.
Derrière ces parcours individuels se cache une vérité collective criante. Ces femmes sont la colonne vertébrale de la sécurité alimentaire et économique de quartiers entiers. Elles commercialisent des produits de première nécessité comme la chikwangue, les braises ou les feuilles de fumbwa. Pourtant, leur contribution à la stabilité sociale et à la économie informelle en RDC est invisible, non reconnue, et surtout, punie par des rackets institutionnalisés. Comment une capitale peut-elle fonctionner en brimant celles qui nourrissent ses habitants ?
Leur courage force l’admiration, mais il ne doit pas servir d’alibi à l’inertie des autorités. La régularisation de leur statut, la construction d’infrastructures de base comme des hangars et des sanitaires, et surtout, la fin des exactions policières et administratives sont des mesures urgentes. Protéger ces femmes, c’est protéger des milliers de familles et sécuriser un pan essentiel de l’économie réelle. Tant que leurs voix seront étouffées par le bruit des pièces de monnaie extorquées, le développement de Kinshasa restera un leurre. La dignité du travail mérite mieux que ce marché de la peur et de la précarité. Leur combat quotidien n’est pas seulement une histoire de survie, mais un miroir tendu à toute la société congolaise.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
