Dans les rues de Kinshasa comme sur les réseaux sociaux congolais, les mots tranchants fusent, blessant plus sûrement que des machettes. « Quand j’entends des insultes ethniques répétées comme des mantras en ligne, je revois les scènes de violences de 2016 », confie Arnaud, vendeur ambulant à Gombe, résumant une angoisse partagée par des milliers de citoyens. Cette réalité quotidienne trouve un écho saisissant dans l’avertissement solennel lancé par António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les discours de haine ce 18 juin.
« Les discours de haine sont un poison pour la société et un facteur de violence », dénonce-t-il avec une gravité mesurée. Son message résonne comme un glas dans le paysage numérique mondial : ces paroles incendiaires « ont mené à la violence et aux atrocités qui ont fait les chapitres les plus sombres de l’histoire de l’humanité ». Une vérité que connaissent trop bien les Congolais, où les tensions communautaires instrumentalisées ont plusieurs fois dégénéré en bains de sang.
Le constat est implacable : les minorités ethniques et religieuses restent les premières cibles de ces rhétoriques toxiques. Mais quel mécanisme infernal transforme aujourd’hui la parole en arme de destruction massive ? Guterres pointe un amplificateur redoutable : « Si le pouvoir destructeur de la haine n’est pas nouveau, il est aujourd’hui amplifié par les technologies de communication modernes ». Les plateformes numériques, véritables autoroutes de la haine, permettent aux discours conflictuels de se propager à une vitesse inédite, menaçant directement la paix mondiale.
L’intelligence artificielle, cette épée à double tranchant, occupe une place centrale dans ce sombre tableau. « Les outils d’IA offrent une multitude d’opportunités potentielles pour améliorer les choses », reconnaît le chef de l’ONU. Mais dans le même souffle, il alerte : des algorithmes biaisés créent des chambres d’écho toxiques où le harcèlement et les abus prospèrent. Comment expliquer qu’une technologie promise au progrès devienne le véhicule privilégié de la déshumanisation ? Volker Türk, Haut-Commissaire aux droits de l’homme, apporte une réponse cinglante : « Les discours de haine ne sont jamais inoffensifs. Ils déforment, déshumanisent et se propagent de manière plus persuasive à travers l’IA ».
Face à cette intelligence artificielle violence qui gangrène nos écrans, la communauté internationale semble prendre la mesure du péril. Guterres salue l’engagement croissant des États membres à combattre les discours de haine en ligne. Mais suffira-t-il de bonnes intentions pour désamorcer cette bombe à retardement sociale ? Le Secrétaire général lance un appel vibrant, véritable fil d’espoir dans ce paysage obscurci : « Prenons l’engagement d’utiliser l’intelligence artificielle non pas comme un outil de haine, mais comme une force au service du bien ».
Cet enjeu dépasse largement la simple modération de contenus. Dans un pays comme la RDC, où les fractures sociales peuvent s’enflammer au moindre étincelle, la lutte contre les discours de haine devient une question de survie collective. Les algorithmes qui alimentent aujourd’hui les conflits pourraient-ils demain devenir des sentinelles de la paix ? La réponse dépendra de notre capacité collective à dompter cette technologie tout en guérissant les plaies sociales qu’elle exploite. À l’heure où chaque smartphone peut devenir une arme de destruction massive verbale, le combat contre la haine en ligne s’impose comme l’un des grands défis humanistes de notre siècle.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
