Dans les rues animées de Bukavu, où les cris des marchands se mêlent au bruissement du lac Kivu, une révolution culturelle se dessine entre les lignes. Xant Corp, phare artistique du Sud-Kivu, dévoile sa nouvelle maison d’édition dédiée à la bande dessinée, promesse de renaissance pour un art trop longtemps relégué aux marges. L’initiative, soutenue par des partenaires français, souffle un vent créatif sur la région des Grands Lacs, territoire meurtri mais fertile en récits inédits.
« Nous voulons redonner aux jeunes les couleurs de leur propre narration », confie Stéphane Cibi, directeur de Xant Corp, dont la voix porte l’urgence d’un patrimoine à réinventer. Trois piliers structurent ce projet ambitieux : accompagner la création, professionnaliser la production et conquérir les étals des librairies. Une alchimie entre tradition orale congolaise et rigueur éditoriale, où chaque case de BD devient un miroir tendu à la société.
Les thèmes choisis – espoir, éducation environnementale, contes ancestraux – résonnent comme un dialogue entre mémoire et modernité. Comment traduire en images les défis d’une génération confrontée aux héritages coloniaux et aux défis climatiques ? Les premiers albums, déjà consultables en ligne, mêlent avec audace symboles kuba et graphismes urbains, comme si Tintin croisait la route des esprits Basoko dans une planche vibrante de sens.
Derrière cette effervescence, un réseau franco-congolais se déploie : Institut Français de Bukavu, Création Africa, ambassade de France… Un partenariat qui interroge autant qu’il inspire. La BD deviendra-t-elle le nouveau pont culturel entre Kinshasa et Paris ? Les ateliers d’écriture, financés par le projet Pépinière, forment déjà une centaine de jeunes à scénariser leurs réalités. « L’objectif n’est pas d’imiter Marvel, mais de créer des héros qui parlent lingala », souligne un formateur anonyme.
Sur le site de Xant Corp, les previews dévoilent des planches où le rouge laterite des collines du Sud-Kivu contraste avec le bleu électrique des personnages. Une esthétique qui rappelle le mouvement afrofuturiste, mais ancrée dans le quotidien des motards-taxi de Bagira. Chaque bulle semble contenir le murmure du lac et les revendications d’une jeunesse avide de s’exprimer hors des réseaux sociaux.
Reste le défi de la distribution : comment inonder le marché congolais de BD physiques dans un pays où le livre papier lutte face aux écrans ? La réponse viendra peut-être des kiosques improvisés devant les écoles, où les albums pourraient côtoyer les sachets d’eau et les beignets. Une démocratisation culturelle à hauteur de regard, comme un antidote à l’exode des cerveaux.
Ce projet, s’il aboutit, pourrait réécrire la carte des industries créatives en RDC. Et si Bukavu devenait le Angoulême africain ? L’histoire se dessine case par case, entre vulcanisation des talents locaux et encre indélébile de la coopération internationale. L’aventure ne fait que commencer.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
