Dans une tribune incendiaire publiée ce dimanche 4 mai, Jean Bamanisa Saidi, ancien gouverneur de l’Ituri et figure incontournable du secteur des infrastructures, a jeté un pavé dans la mare des politiques urbaines kinoises. Son constat, aussi cinglant que méthodique, interroge la mécanique bien rodée d’un système où les chantiers publics semblent nourrir les problèmes qu’ils prétendent résoudre.
« Kinshasa, capitale des travaux éternels : on refait donc on avance ? » La question, posée avec une ironie mordante par l’ancien gouverneur, résume à elle seule le paradoxe d’une ville où l’asphalte se fissure aussi vite que les promesses électorales. Selon M. Bamanisa, expert en génie civil et fin connaisseur des arcanes administratives, les embouteillages chroniques ne seraient pas un simple aléa technique, mais le symptôme d’une « pathologie de gouvernance ».
L’analyse dévoile une chaîne de dysfonctionnements savamment entretenue : « Des caniveaux absents sous des routes construites sur des nappes phréatiques, un bitume plus symbolique qu’efficace, des contrats distribués comme des bons points… » Chaque élément, décortiqué avec la précision d’un rapport d’audit, dessine les contours d’un système où chaque nid-de-poule devient opportunité budgétaire. « Pourquoi changer une méthode qui échoue si bien ? » lance-t-il, fustigeant cette « économie de la réparation perpétuelle ».
La critique porte particulièrement sur l’approche curative des autorités, comparée à « l’administration de calmants à un malade chronique ». Une métaphore médicale qui en dit long sur l’absence de vision préventive. Urbanisation anarchique, drainage inexistant, surcharge des poids lourds : les racines du mal sont connues, documentées, mais toujours ignorées. « Les experts le disent. Les ingénieurs le répètent. Mais les décideurs, eux, s’en tiennent à leur doctrine : on refait pour dire qu’on fait. »
Cette charge argumentée met en lumière un cercle vicieux politico-économique. Chaque effondrement de chaussée génère son lot de marchés urgents, de budgets exceptionnels et – surtout – de rentes opportunément distribuées. Un mécanisme qui, selon l’auteur, transformerait les embouteillages en « ressource politique renouvelable », entretenant volontairement la crise pour justifier de nouveaux financements.
La réaction des autorités urbaines à ce réquisitoire se fait attendre. Reste que les questions soulevées touchent à des enjeux bien plus larges que la simple voirie. À l’heure où le gouvernement central mise sur les infrastructures comme vitrine de sa crédibilité, les accusations de « chantiers cosmétiques » pourraient fissurer le discours officiel. D’autant que l’auteur, ancien gouverneur et entrepreneur reconnu, dispose d’une légitimité qui complique toute tentative de discrédit.
Mais jusqu’à quand cette stratégie de « réparation perpétuelle » pourra-t-elle tenir ? Alors que les bailleurs internationaux durcissent leurs conditions sur la transparence des marchés publics, le modèle dénoncé par Bamanisa semble atteindre ses limites. La capitale congolaise, théâtre de cette « guerre de l’asphalte », devra-t-elle choisir entre l’urgence des raccommodages et le risque d’un effondrement systémique ? La réponse déterminera non seulement la fluidité du trafic kinois, mais aussi la crédibilité d’un pouvoir confronté à ses propres contradictions.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
