Dans les collines du Nord-Kivu, le silence des radios communautaires résonne comme un cri d’alarme. « Avant, notre antenne vibrait dès 5h du matin. Aujourd’hui, on diffuse quatre heures par jour avec deux techniciens pour tout personnel », confie Daniel Shematsi, journaliste à UPDECO FM de Kiwanja. Son témoignage illustre l’agonie d’un secteur médiatique étranglé par trois ans d’occupation rebelle et de crise multiforme.
Derrière les chiffres – trente radios en survie artificielle, des centaines de journalistes précarisés – se cache une tragédie humaine. À Bukavu comme à Goma, villes symboles tombées sous le joug du M23, les fréquences radio portaient les rires des matinales, les débats citoyens, les alertes humanitaires. « Les groupes armés ont transformé nos émetteurs en cibles », déplore un responsable média sous couvert d’anonymat.
Comment des régions entières basculent-elles dans le mutisme informationnel ? La réponse se niche dans une équation infernale : publicité réduite à néant, équipements saisis, personnel contraint à l’exil. Certaines rédactions fonctionnent grâce au sacrifice de reporters payés en nature – un sac de farine, quelques légumes du marché local.
Le réseau de trente radios résistantes tente pourtant d’inverser la tendance. Leur note de plaidoyer, adressée aux bailleurs internationaux, sonne comme un SOS : sans soutien urgent, c’est tout un maillon essentiel de la démocratie congolaise qui risque de disparaître. « Les donateurs financent l’aide alimentaire, mais qui va nourrir l’esprit critique ? », interroge un membre du collectif.
Cette crise dépasse le cadre professionnel. Privées de leurs radios, les communautés rurales perdent leur système d’alerte précoce face aux exactions, leur espace de dialogue intercommunautaire, leur lien vital avec le reste du pays. Les femmes paysannes de Rutshuru le racontent : « Sans les émissions agricoles, on ignore les périodes de semis. Sans les chroniques santé, les enfants meurent de malaria faute de prévention ».
Les enjeux sécuritaires compliquent toute assistance. Comment acheminer du matériel technique dans des zones sous embargo de fait ? Certaines ONG tentent des partenariats innovants – formation à distance, financement via cryptomonnaies. Mais les besoins criants en générateurs, antennes relais et fonds de roulement appellent une mobilisation proportionnelle à l’urgence.
Cette asphyxie médiatique programmée pose une question fondamentale : peut-on reconstruire une région sans restaurer d’abord sa voix ? Alors que les pourparlers de paix piétinent, les ondes radiophoniques congolaises attendent leur tour pour sortir du silence. Leur résistance obstinée, contre vents et kalachnikovs, mériterait bien un bulletin d’information à part entière.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net