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Suspension fracassante à l’armée et polémique diplomatique : les deux crises qui secouent Kinshasa

La semaine s’ouvre à Kinshasa sur un double front de turbulences, où la communication officielle se trouve prise en tenaille entre les dérapages verbaux d’un haut gradé et les mises en garde acerbes d’un prélat. D’un côté, l’armée congolaise, par la voix de son état-major, est contrainte de suspendre son propre porte-parole, le général-major Sylvain Ekenge, suite à des propos ouvertement discriminatoires tenus sur la télévision d’État. De l’autre, le gouvernement se lance dans une vigoureuse opération de démenti face aux accusations portées par Mgr Fulgence Muteba, président de la CENCO, concernant le partenariat stratégique avec les États-Unis. Deux crises de parole publique qui, à des degrés divers, interrogent la cohérence du narratif étatique et sa vulnérabilité face aux polémiques.

La suspension du général-major Sylvain Ekenge, tombée dans la matinée de ce lundi, n’est pas une simple sanction administrative. Elle révèle une faille béante dans le contrôle des discours au plus haut niveau des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Tenus sur les antennes de la RTNC, les propos incriminés, visant la communauté tutsie et évoquant un prétendu « stratagème » démographique, ont immédiatement franchi les frontières. Leur récupération par des officiels rwandais, dans le contexte de tensions persistantes entre Kinshasa et Kigali, a offert à Kigali une arme de propagande inespérée. Le Chef d’état-major général a-t-il agi pour préserver l’image de l’institution militaire, ou bien sous la pression des conséquences diplomatiques immédiates ? La rapidité de la décision suggère une volonté de limiter les dégâts, mais elle expose aussi la légèreté avec laquelle un porte-parole, censé incarner la ligne officielle, a pu s’aventurer sur un terrain aussi miné.

Cette affaire met en lumière un paradoxe gênant pour l’exécutif du président Félix Tshisekedi. Ce dernier n’a eu de cesse, depuis son avènement, de brandir l’étendard de la lutte contre les discriminations et de l’unité nationale, notamment face aux accusations récurrentes de Rwanda. Comment, dès lors, expliquer qu’un haut responsable militaire, en charge de la communication, puisse tenir des propos aussi diamétralement opposés à cette doctrine affichée ? L’incident ne fragilise-t-il pas, en interne, le crédit de la parole présidentielle auprès des communautés concernées, et, à l’externe, la crédibilité de la RDC sur la scène régionale où elle dénonce régulièrement la désinformation de l’adversaire ? La suspension, si nécessaire soit-elle, apparaît comme un pansement sur une jambe de bois, tant elle n’efface pas la gravité du contenu diffusé sur une chaîne publique.

Sur un autre front, c’est la parole de l’Église catholique, institution de référence et traditionnelle sentinelle morale, qui vient heurter de plein fouet la communication gouvernementale. Les déclarations de Mgr Fulgence Muteba Mugalu, archevêque de Lubumbashi et président de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), ont provoqué une réaction immédiate et véhémente du porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya. En qualifiant l’accord de partenariat stratégique avec Washington de « bradage » sur 99 ans des ressources minières du pays, le prélat a touché une corde extrêmement sensible : celle de la souveraineté nationale et de la gestion du patrimoine.

La contre-offensive menée par Patrick Muyaya a été sans ambages, dénonçant des « propos factuellement faux » et une « fausse vérité ». Le ministre a catégoriquement nié l’existence d’une durée de 99 ans, d’une cession de souveraineté ou même de toute mention spécifique aux mines dans l’accord, le présentant plutôt comme un cadre de principes pour un partenariat « gagnant-gagnant ». Cette joute verbale, qui voit un membre éminent de la CENCO s’opposer frontalement à la version officielle, est lourde de sens. Traduit-elle une méfiance profonde d’une partie de l’élite intellectuelle et morale congolaise vis-à-vis des engagements internationaux du gouvernement ? Le ton employé par Muyaya, allant jusqu’à lancer « Vous n’avez pas dit la vérité, Mgr ! » sur les réseaux sociaux, marque une escalade dans la rhétorique, transformant un débat technique en conflit de légitimité.

Le gouvernement joue gros dans cette affaire. En s’attaquant à la crédibilité d’une figure aussi respectée que le président de la CENCO, il risque de s’aliéner une partie importante de l’opinion publique qui accorde traditionnellement sa confiance à l’Église. La stratégie du démenti pur et simple suffira-t-elle à éteindre la polémique, ou au contraire, l’alimente-t-elle en lui donnant une visibilité accrue ? L’absence de transparence totale sur le contenu précis de l’accord signé sous l’ère Trump laisse un flou propice à toutes les interprétations, et donc à toutes les instrumentalisations, qu’elles viennent de l’intérieur ou de l’extérieur.

En définitive, ces deux épisodes croisés – la suspension du porte-parole des FARDC pour propos discriminatoires et la polémique sur l’accord Washington-RDC – dessinent les contours d’une crise de la communication d’État. D’un côté, un narratif incontrôlé et contre-productif émanant de l’institution militaire ; de l’autre, un narratif officiel contesté par une autorité morale majeure. Ces tensions révèlent les difficultés du pouvoir à imposer une ligne claire et cohérente, tant en matière de discours interne que de justification de sa politique étrangère. À l’approche d’échéances politiques cruciales, la maîtrise de la parole publique n’est pas un détail anodin, mais un enjeu de gouvernance qui peut, à terme, fragiliser durablement la crédibilité des institutions. Les prochains jours diront si Kinshasa a tiré les leçons de ce double camouflet ou si d’autres dérapages, verbaux ou diplomatiques, viendront encore éprouver la résilience de l’État congolais.

Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net

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Chloé Kasong
Chloé Kasong
Issue de Kinshasa, Chloé Kasong est une analyste rigoureuse des enjeux politiques et sociaux de la RDC. Spécialisée dans la couverture des élections, elle décortique pour vous l’actualité politique avec impartialité, tout en explorant les mouvements sociaux qui façonnent la société congolaise. Sa précision et son engagement font d'elle une voix incontournable sur les grandes questions sociétales.
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