Dans un camp de fortune aux abords de Bukavu, Marie, 35 ans, serre contre elle son dernier sac de farine de maïs, une ration amputée des trois quarts. « Avant, cela durait un mois. Maintenant, avec mes cinq enfants, cela fera une semaine, peut-être dix jours si on ne mange qu’une fois par jour », murmure-t-elle, le regard perdu vers les collines d’où elle a fui les violences. Son histoire n’est pas un cas isolé, mais le reflet glaçant d’une urgence alimentaire au Congo qui bascule dans le critique. Le Programme alimentaire mondial (PAM) tire une sonnette d’alarme stridente : sans un financement d’urgence immédiat de 67 millions de dollars, son aide vitale dans le Sud-Kivu pourrait s’arrêter net dans les trois mois.
La province du Sud-Kivu, théâtre d’un regain de violence incessant, est au cœur d’une tempête humanitaire parfaite. Les affrontements armés chassent des communautés entières de leurs terres, détruisent les récoltes et coupent les routes commerciales. Résultat ? Le PAM estime que 2,8 millions de personnes sont déjà plongées dans une insécurité alimentaire aiguë, un chiffre qui masque une réalité encore plus sombre : près d’un million d’entre elles sont carrément en situation d’urgence, au bord de la famine. Et le pire est à venir. L’agence onusienne projette une multiplication par sept du nombre de personnes affectées d’ici janvier 2026 si rien ne change. Une perspective apocalyptique qui transformerait une crise grave en catastrophe humanitaire de grande ampleur.
« Cette crise alimentaire Sud-Kivu risque de s’aggraver si des mesures urgentes ne sont pas prises », alerte sans détour Cynthia Jones, représentante intérimaire du PAM en RDC. Son appel résonne dans le vide d’un sous-financement chronique qui étrangle les opérations. Au-delà des 67 millions requis pour le Kivu, l’aggence a besoin de 350 millions de dollars pour maintenir l’ensemble de ses programmes en République Démocratique du Congo. La situation est si tendue que des décisions déchirantes sont déjà actées. Au Burundi, où affluent des milliers de Congolais fuyant les combats, le PAM a dû réduire de 75% les rations alimentaires des réfugiés. Une coupe drastique qui signifie, concrètement, des ventres vides et une malnutrition qui guette.
L’onde de choc de cette violence Sud-Kivu dépasse les frontières, testant la résilience de toute la région des Grands Lacs. Au Burundi, le PAM tente de soutenir près de 94 000 nouveaux arrivants congolais avec des repas chauds dans des centres de transit surchargés. Au Rwanda, ce sont jusqu’à 1 000 personnes qui bénéficient d’une assistance d’urgence. Mais ces filets de sécurité sont en lambeaux. Comment une agence peut-elle répondre à une crise qui s’étend quand ses ressources fondent comme neige au soleil ? La question n’est plus technique, elle est éthique et politique.
Le scénario que redoutent tous les acteurs sur le terrain est celui d’une rupture totale des stocks. Certains vivres ont bien été prépositionnés, mais ils ne sont qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins. Sans ressources supplémentaires immédiates, les camions s’arrêteront, les distributions cesseront et des millions de personnes se retrouveront livrées à elles-mêmes. « Sans aide d’urgence et sans financement supplémentaire, nous ne pouvons pas répondre à une crise qui est au bord d’une catastrophe alimentaire », insiste Cynthia Jones. Le terme n’est pas choisi à la légère : une catastrophe.
Face à cette urgence, que font la communauté internationale et les bailleurs de fonds ? Le constat est amer : le PAM RDC et ses partenaires naviguent à vue avec des marges de manœuvre quasi inexistantes. Les appels de fonds pour le Burundi (39 millions $) et le Rwanda (17 millions $) restent également largement sous-financés. Cette inertie collective a un coût humain direct et mesurable : celui de la faim, de la maladie, et du désespoir. Jusqu’où faudra-t-il que la faim progresse pour que le monde réagisse ?
L’enjeu dépasse la simple aide humanitaire en RDC. Il s’agit de la stabilité d’une région entière. Une population affamée, déplacée et sans espoir est un terreau fertile pour tous les extrémismes et un facteur d’instabilité durable. La réponse ne peut être seulement palliative ; elle doit aussi s’attaquer aux racines du mal : l’insécurité et le sous-développement chronique. En attendant, pour des millions de Marie à travers le Sud-Kivu, chaque jour qui passe sans une réponse concrète est un jour de trop, un repas en moins, un avenir qui s’assombrit un peu plus. La fenêtre pour éviter le pire se referme rapidement. La balle est dans le camp de ceux qui détiennent les moyens d’agir.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
