« Nous sommes partis de l’agence, nous avons trouvé des bus disponibles. Nous avons payé 30 000 FC et nous sommes arrivés directement à Bukavu. » Le soulagement est palpable dans la voix de ce voyageur, l’un des premiers à avoir emprunté la route nationale 5 depuis la reprise, ce lundi, du transport routier entre Bukavu et Uvira. Après dix longs mois de suspension et de paralysie totale, cette artère vitale du Sud-Kivu recommence à battre, redonnant un semblant de normalité à des milliers de familles et d’entreprises.
Cette reprise intervient dans un contexte sécuritaire toujours fragile. Elle fait suite à la prise de contrôle, par les rebelles de l’AFC M23, de la capitale provisoire du Sud-Kivu ainsi que des principales agglomérations de la plaine de la Ruzizi, telles que Lavrung, Katogota, Bwegera et Sange. Une situation qui avait contraint des centaines de personnes à l’exode et coupé net les échanges économiques entre les deux pôles urbains. Fini, donc, l’interminable et coûteux détour par le Burundi, la Tanzanie et le Rwanda. Désormais, le trajet direct ne prend plus que quatre heures.
Sur le parking du quartier Essence, dans la commune d’Ibanda à Bukavu, l’ambiance est à la curiosité mêlée de prudence. À 14 heures, un bus de l’agence de transport El Shadai débarque ses premiers passagers. Parmi eux, des visages marqués par des mois d’absence. « La plupart des voyageurs étaient curieux de revoir la ville qu’ils avaient quittée depuis février, pour certains à cause de la guerre », rapporte un observateur. Le transport routier Sud-Kivu reprend doucement son souffle, mais à quel prix ?
Le prix du transport Bukavu Uvira varie désormais entre 25 000 et 30 000 francs congolais par passager, selon l’itinéraire choisi – vers le Rwanda ou en direction des escarpements de Ngomu. Un coût significatif pour une population déjà éprouvée. « Le voyage s’est bien passé. D’Uvira jusqu’à Bukavu, nous n’avons rencontré aucun problème en cours de route. Seulement, à quelques endroits, on nous a demandé nos cartes d’électeurs, que nous avons dû présenter. Il n’y a pas eu de tracasseries », témoigne un autre usager, soulagé mais vigilant.
Cette reprise est-elle le signe d’une pacification durable ou simplement une trêve précaire dans un conflit aux multiples acteurs ? La question plane sur les gares routières. La présence de l’AFC M23 Sud-Kivu le long de la route nationale 5 introduit une nouvelle donne sécuritaire. Les contrôles, bien que décrits comme non vexatoires pour le moment, rappellent que la libre circulation reste sous tension. Les autorités provinciales et les forces de sécurité sont-elles en mesure de garantir la sécurité des biens et des personnes sur cet axe à long terme ?
Au-delà de l’anecdote du bus qui arrive à l’heure, cette reprise transport Bukavu Uvira est un baromètre essentiel de la vie socio-économique régionale. La fermeture de la route avait asphyxié les marchés, fait flamber les prix des denrées de base et isolé des communautés entières. La relance des échanges devrait, en théorie, faire redescendre la pression sur le coût de la vie et permettre aux familles séparées par le conflit de se réunir. Mais cette économie de guerre a-t-elle déjà trop durablement transformé les circuits commerciaux ?
Le défi est maintenant de consolider cette reprise fragile. Les opérateurs économiques et les transporteurs osent-ils s’engager pleinement, ou restent-ils dans l’expectative, craignant un nouveau revers sécuritaire ? La confiance, cette denrée si rare en temps de crise, mettra du temps à se reconstruire. Les témoignages de voyageurs sans « tracasseries » sont un premier pas, mais insuffisant pour effacer dix mois de peur et de pertes.
En définitive, la réouverture de la route nationale 5 entre Bukavu et Uvira est bien plus qu’une simple nouvelle de circulation. C’est un symbole fort d’un retour possible à la normale dans une région meurtrie. Elle pose crûment la question de la gouvernance et de la souveraineté sur les territoires : qui contrôle réellement la route, et au bénéfice de qui ? L’espoir est permis, mais il doit être tempéré par le réalisme d’une situation complexe. Pour les habitants du Sud-Kivu, chaque voyage réussi sur cette route reste une petite victoire, un acte de résistance quotidien contre la paralysie imposée par la violence.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
