L’annonce d’un retrait unilatéral des forces de l’Alliance Fleuve Congo (AFC/M23) de la ville stratégique d’Uvira, dans le Sud-Kivu, a immédiatement été accueillie par une fin de non-recevoir cinglante de la part du Burundi. Le ministre burundais des Affaires étrangères, Édouard Bizimana, a qualifié cette déclaration de « pur mensonge » sur le réseau social X, affirmant qu’elle visait à « tromper l’opinion internationale ». Cette réaction virulente jette une ombre de doute sur les véritables intentions derrière cette annonce et révèle la profondeur des tensions qui minent la région des Grands Lacs, au lendemain même des accords de Washington.
Dans un communiqué publié mardi, l’AFC/M23 avait présenté son retrait comme une « mesure de confiance » en soutien au processus de paix de Doha, précisant agir « comme demandé par la médiation des États-Unis ». Cependant, ce geste apparent de bonne volonté était assorti de conditions sécuritaires strictes, incluant la démilitarisation d’Uvira, la protection des civils et le déploiement d’une force neutre pour surveiller le cessez-le-feu. Le mouvement a également averti contre toute tentative des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ou des groupes d’autodéfense Wazalendo de reprendre le terrain.
La réaction burundaise, tranchante et publique, s’inscrit dans un contexte de pression diplomatique internationale croissante sur Kigali, accusé par Kinshasa et ses partenaires de soutenir le groupe rebelle. Washington a récemment multiplié les mises en garde. Le vice-secrétaire d’État américain, Christopher Landau, avait qualifié la prise d’Uvira début décembre de « grave erreur », tandis que le secrétaire d’État Marco Rubio y voyait une « violation claire » des récents accords. La déclaration de l’AFC/M23 est-elle alors une réponse tactique à cette pression, comme le suggère le ministre Bizimana lorsqu’il accuse le Rwanda de « simplement essayer de soulager la pression internationale » ?
La situation dépasse largement le cadre de la ville d’Uvira. Les relations entre le Burundi et le Rwanda, déjà tendues, se sont considérablement détériorées. Peu avant l’annonce du retrait, Bujumbura avait porté plainte auprès des Nations unies, accusant Kigali d’avoir bombardé son territoire dans la commune de Tshibitoke le 4 décembre, faisant des blessés civils. L’ambassadeur burundais à l’ONU, Zéphyrin Maniratanga, avait alors averti que la retenue de son pays « a des limites », se réservant le droit à la légitime défense. Cette escalade verbale et militaire transforme un conflit localisé en une crise régionale aux implications potentiellement déstabilisatrices.
Sur le terrain, l’opacité demeure. Les affirmations contradictoires – retrait annoncé par l’AFC/M23, démenti catégorique du Burundi – créent une incertitude dangereuse. Les observateurs s’interrogent : s’agit-il d’une manœuvre de communication pour gagner du temps sur le plan diplomatique, ou d’une réelle tentative de désescalade ? La crédibilité du processus de paix en dépend. La communauté internationale, et en particulier la médiation américaine, se trouve face à un dilemme complexe. Faut-il saluer une avancée, si minime soit-elle, ou dénoncer une manipulation qui risquerait de légitimer une avancée militaire initialement condamnée ?
Les enjeux pour la RDC sont colossaux. La chute d’Uvira avait symbolisé une expansion inquiétante du conflit dans le Sud-Kivu, une région déjà meurtrie par des décennies de violence. Un retrait effectif et vérifiable serait un premier pas vers l’apaisement. Mais si le doute persiste, comme le soutient Bujumbura, le risque est un enlisement plus profond et une perte de confiance définitive dans les mécanismes de dialogue. La diplomatie américaine, active sur ce dossier, doit maintenant naviguer entre ces écueils pour éviter une nouvelle flambée de violence.
Cette crise met en lumière la fragilité extrême de la sécurité dans l’est de la République démocratique du Congo. Elle démontre comment un événement local peut rapidement mobiliser les chancelleries et exacerber les rivalités historiques entre voisins. La suite des événements dépendra de la capacité des acteurs internationaux à exercer une pression coordonnée et crédible, et de la volonté réelle des parties en conflit de respecter leurs engagements. En attendant, la population d’Uvira et des alentours vit dans l’angoisse, prise en étau entre des déclarations contradictoires et la menace permanente d’un retour des combats.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: Actualite.cd
