Dans un bras de fer qui semble s’éterniser, l’AFC/M23 maintient fermement son opposition à toute tentative de réouverture de l’aéroport international de Goma, créant ainsi une impasse dangereuse pour l’acheminement de l’aide humanitaire dans le Nord-Kivu. Cette position inflexible, exposée lors d’un point presse tenu jeudi à Goma, révèle les profondes tensions qui continuent de miner les efforts de résolution de la crise dans l’Est de la République Démocratique du Congo.
Yannick Tshisola, membre influent de la délégation de l’AFC/M23 et directeur de cabinet du coordonnateur politique Corneille Nangaa, a développé un argumentaire pour le moins surprenant. Selon lui, les camps de déplacés autour de Goma auraient purement et simplement « disparu », les populations étant retournées dans leurs villages grâce à la « gouvernance » mise en place par le mouvement rebelle. Une affirmation qui contraste singulièrement avec les rapports alarmants des agences humanitaires internationales sur la crise humanitaire au Nord-Kivu.
Le cadre de l’AFC/M23 n’a pas mâché ses mots pour dénoncer ce qu’il qualifie de « lobbying » des organisations humanitaires. « Ces humanitaires qui gagnaient sur le dos de la population » chercheraient selon lui à recréer une situation de crise pour « recevoir des financements l’année prochaine ». Un discours qui soulève une question fondamentale : l’AFC/M23 cherche-t-elle véritablement à normaliser la situation ou instrumentalise-t-elle la question humanitaire à des fins politiques ?
La position du mouvement rebelle s’appuie sur deux arguments principaux. Sur le plan sécuritaire, l’AFC/M23 accuse les forces gouvernementales et leurs alliés d’avoir délibérément saboté les infrastructures aéroportuaires avant leur retrait. « Ils ont détruit la tour de contrôle, la piste d’atterrissage, ils ont laissé des mines anti-personnelles », a déploré Yannick Tshisola. Sur le plan politique, le mouvement dénonce le non-respect des engagements par Kinshasa, notamment concernant la libération des prisonniers et les violations répétées du cessez-le-feu.
Cette intransigeance de l’AFC/M23 concernant la réouverture de l’aéroport de Goma intervient dans un contexte où le président français Emmanuel Macron avait pourtant mis en avant cette mesure comme un « signal concret, attendu et nécessaire pour les populations ». Le chef de l’État français comptait sur l’appui du Qatar et des États-Unis, médiateurs dans ce conflit, pour assurer la mise en œuvre rapide de cette initiative. Force est de constater que cet espoir reste pour l’instant lettre morte.
La stratégie de l’AFC/M23 apparaît comme un calcul politique risqué. En bloquant l’accès humanitaire par la voie aérienne, le mouvement renforce sa position de force dans les négociations, mais s’expose également à des critiques internationales accrues. Quel prix sont prêts à payer les civils pour cette guerre d’influence ? La question mérite d’être posée alors que des milliers de personnes continuent de souffrir dans l’indifférence relative.
Le mouvement rebelle tente par ailleurs de déplacer le débat en pointant du doigt d’autres crises humanitaires dans le pays, à Kwamouth, Beni ou au Lualaba. Une manœuvre de diversion qui ne saurait masquer l’urgence de la situation dans le Nord-Kivu, où la fermeture de l’aéroport de Goma depuis l’occupation de la ville fin janvier 2025 paralyse l’acheminement de l’aide.
Face à cette impasse persistante, la balle est désormais dans le camp des médiateurs. Le Qatar et les États-Unis parviendront-ils à débloquer une situation qui semble s’être enlisée dans des considérations stratégiques et politiques au détriment des besoins humanitaires immédiats ? La crédibilité du processus de paix engagé à Doha en dépend largement, tout comme la vie de millions de Congolais pris au piège de ce conflit qui n’en finit pas.
Alors que les jours passent et que la situation humanitaire continue de se dégrader dans l’Est de la RDC, l’intransigeance de l’AFC/M23 sur la question de la réouverture de l’aéroport de Goma pourrait bien se retourner contre le mouvement. En privant les populations d’une aide vitale, le groupe armé prend le risque de voir son discours sur la « normalisation » de la situation totalement discrédité sur la scène internationale.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
