Dans un contexte où le secteur des transports à Kinshasa ressemble à une jungle où prévalent les lois du plus fort, le gouverneur Daniel Bumba Lubaki a décidé de brandir l’étendard de la normalisation. Le lancement de l’opération « Tosa Ba Tosa Yo » ce mercredi 19 novembre marque-t-il un tournant décisif ou simplement un nouvel épisode dans la longue série des tentatives de réforme avortées ?
Accompagné du vice-gouverneur Eddy Iyeli Molangi et du ministre provincial des Transports Jésus-Noël Sheke, le premier magistrat de la ville a présenté cette initiative comme la pierre angulaire d’une stratégie globale visant à restaurer l’autorité de l’État dans un secteur vital pour l’économie kinoise. La campagne s’inscrit dans la continuité de l’opération « Balabala Eza Wenze Te » qui ciblait les constructions anarchiques et les marchés pirates, démontrant ainsi une volonté affichée d’attaquer le problème du désordre urbain sur multiple fronts.
Le gouverneur Bumba a fixé des objectifs clairs : éradiquer la pratique du demi-terrain, cette stratégie de fragmentation des trajets qui permet aux transporteurs d’augmenter artificiellement leurs revenus au détriment des usagers. Mais au-delà de cette mesure spécifique, c’est tout un système de régulation des prix des transports urbains qui doit être repensé. Comment en effet justifier que dans une ville où plus de 70% de la population dépend quotidiennement des bus, taxis et motos pour ses déplacements professionnels et personnels, la fixation des tarifs échappe encore à tout contrôle institutionnel ?
« Aucun agent ne peut se prétendre agent de transport sans être identifié. Les pratiques de demi-terrain et la fixation unilatérale des prix doivent cesser », a martelé Daniel Bumba, soulignant ainsi le lien indissoluble entre identification formelle et responsabilisation des acteurs.
Le chef de l’exécutif provincial a insisté sur la dimension philosophique de sa démarche en rappelant que « sans la norme, aucun effort ne peut produire des résultats palpables ». Cette déclaration sonne comme un aveu implicite des échecs passés et une reconnaissance de la nécessité d’instaurer un cadre réglementaire contraignant. Mais la réussite de cette opération ne dépendra-t-elle pas fondamentalement de la capacité des autorités à imposer leur volonté face à des acteurs économiques habitués à fonctionner en marge de toute régulation ?
La dimension collaborative de la campagne a été particulièrement mise en avant par le gouverneur, qui a exhorté la population à s’approprier cette initiative. « Quand chacun agit pour son intérêt personnel, c’est toute la collectivité qui en souffre. L’intérêt général n’est pas la somme des intérêts individuels », a-t-il philosophé, pointant du doigt les comportements égoïstes qui génèrent embouteillages et désorganisation. Cette invocation à la responsabilité citoyenne masque-t-elle une difficulté plus profonde à faire appliquer la loi par les voies traditionnelles ?
Sur le plan stratégique, « Tosa Ba Tosa Yo » représente un pari audacieux pour l’exécutif provincial. En s’attaquant au secteur informel des transports, Daniel Bumba prend le risque de se confronter à des intérêts économiques puissants et bien organisés. La question de l’identification des agents de transport, présentée comme une condition sine qua non de réussite, constituera le premier test décisif de la détermination gouvernementale. Les transporteurs accepteront-ils de sortir de l’ombre pour se soumettre à un cadre réglementaire contraignant ?
Au-delà des déclarations d’intention, la campagne devra prouver son efficacité sur le terrain concret des rues de Kinshasa. Le défi est de taille dans une métropole où la culture de la débrouille et les stratégies de survie économique ont souvent primé sur le respect des normes institutionnelles. La réussite de « Tosa Ba Tosa Yo » pourrait constituer un tournant dans la gouvernance urbaine, tandis que son échec viendrait s’ajouter à la longue liste des tentatives infructueuses de régulation des transports dans la capitale.
Le gouverneur Bumba joue donc son crédit politique sur cette opération qui ambitionne rien moins que de « réaffirmer l’autorité de l’État » dans un secteur crucial. Les prochaines semaines révèleront si cette campagne parvient à imposer une nouvelle discipline dans les transports à Kinshasa ou si elle se heurtera à la résilience des pratiques informelles bien ancrées. L’enjeu dépasse la simple question des prix des transports urbains : c’est la capacité de l’État à réguler l’espace public et l’économie informelle qui se joue dans cette initiative.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
