Dans la pénombre feutrée du Musée National de Kinshasa, les fantômes du Zaïre ressuscitent. Depuis une dizaine de jours, les murs chargés d’histoire accueillent une exposition qui fait revivre, le temps d’un parcours muséal, l’ombre longue de Mobutu Sese Seko. « Mobutu : une vie, un destin » déploie ses archives jusqu’au 30 octobre 2025, offrant aux visiteurs une plongée sensorielle dans les méandres complexes d’une époque qui continue de hanter la mémoire collective congolaise.
Comment approcher cette figure tutélaire sans tomber dans les pièges de la glorification ou de la diabolisation ? L’exposition Mobutu à Kinshasa relève ce défi avec une subtilité remarquable. À travers photographies jaunies et vidéos d’époque, le maréchal se dévoile dans sa complexité : d’un côté, le chef d’État autoritaire qui régna trente-deux ans sur le Zaïre ; de l’autre, l’homme privé, le journaliste passionné, le père de l’authenticité congolaise. Les organisateurs, membres de sa famille, ont choisi la voie de la nuance, transformant le musée national RDC en espace de méditation historique.
Le parcours scénographique s’étale sur deux niveaux, créant une progression à la fois chronologique et thématique. Dans la pénombre sacrale des salles, les visiteurs découvrent des artefacts qui parlent autant de pouvoir que d’intimité : fauteuils présidentiels qui semblent encore porter l’empreinte de leur illustre occupant, statues à la gloire du guide, œuvres d’art commandées pour magnifier le régime, mais aussi articles de presse rappelant les débuts du jeune journaliste. Chaque objet raconte un fragment de cette histoire Zaïre, cette nation aujourd’hui disparue mais dont les échos résonnent encore dans la RDC contemporaine.
L’exposition Mobutu Kinshasa transcende la simple rétrospective pour devenir un laboratoire de réflexion sur le patrimoine culturel congolais. Les débats organisés en marge de l’exposition cherchent à construire une « compréhension globale et apaisée » de cette période cruciale. Comment, en effet, appréhender l’héritage mobutiste sans passion ni reniement ? La jeunesse congolaise, cible privilégiée de cette initiative, découvre ainsi les ambiguïtés d’un homme qui fut à la fois bâtisseur et autocrate, modernisateur et prédateur.
La scénographie joue habilement des contrastes : aux images de propagande répondent des photos familiales décontractées ; aux discours solennels font écho des lettres intimes. Cette dialectique permanente invite le visiteur à une lecture critique, mais aussi empathique, de ce destin hors norme. Le musée national devient ainsi le théâtre d’une véritable catharsis collective, où se rejoue le drame zaïrois dans toute sa complexité.
Que reste-t-il de Mobutu Sese Seko dans la Congo d’aujourd’hui ? L’exposition n’apporte pas de réponse définitive, mais ouvre des pistes de réflexion. Le concept d’authenticité, si cher au maréchal, résonne étrangement à l’heure de la globalisation culturelle. Les infrastructures qu’il a bâties continuent de structurer le territoire, tandis que les traumatismes de son régime persistent dans la mémoire nationale. Cette exposition au musée national RDC participe d’un travail de deuil nécessaire, permettant aux Congolais de se réapproprier leur histoire sans complaisance ni amertume.
Jusqu’au 30 octobre, cette rétrospective mobutiste offre aux visiteurs bien plus qu’un simple voyage dans le temps. Elle propose une méditation sur le pouvoir, la mémoire et la construction nationale. Dans l’ombre portée de Mobutu, c’est toute la question de l’identité congolaise qui se joue, entre héritage colonial, rêves d’authenticité et défis contemporains. Le patrimoine culturel congolais s’enrichit ainsi d’une nouvelle page, écrite non pas en noir et blanc, mais dans les nuances de gris qui caractérisent toute grande épopée humaine.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: mediacongo.net
