Alors que les combats continuent de faire rage dans l’Est de la République Démocratique du Congo, la question épineuse du retour des réfugiés congolais s’invite sur la scène internationale. Le gouvernement de Kinshasa, par la voix de son Vice-Premier Ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, a posé des conditions préalables fermes lors de la 76e session du Comité exécutif du HCR à Genève. Une position qui intervient dans un contexte géopolitique particulièrement volatile, où chaque déclaration peut être interprétée comme un coup stratégique dans le conflit qui oppose la RDC au Rwanda.
Le gouvernement congolais joue-t-il une partie d’échecs diplomatique avec Kigali ? La question mérite d’être posée tant les déclarations de Jacquemain Shabani semblent calibrées pour répondre aux réalités complexes du terrain. Le ministre a clairement indiqué que le retour des réfugiés congolais, particulièrement ceux se trouvant au Rwanda, ne saurait s’effectuer sous l’autorité de la rébellion de l’AFC/M23. Une position qui sonne comme un avertissement à l’adresse de Kigali, accusé par Kinshasa de soutenir le mouvement rebelle.
Trois conditions non négociables ont été énoncées pour permettre ce retour : l’instauration d’un cessez-le-feu effectif, la restauration de l’autorité de l’État dans les zones concernées, et la vérification rigoureuse de la nationalité des candidats au retour. Cette dernière condition, en apparence technique, revêt une importance capitale dans le contexte des tensions persistantes entre les deux pays. Ne s’agit-il pas d’une manière détournée de contester les allégations rwandaises concernant la présence de réfugiés rwandais en RDC ?
La référence aux « localités actuellement occupées par l’AFC/M23 » n’est pas anodine. Elle constitue un rappel à la communauté internationale de la situation sécuritaire précaire dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, où la rébellion continue son expansion malgré les différents processus de paix. Le gouvernement congolais semble ainsi vouloir recentrer le débat sur la responsabilité première du Rwanda dans la déstabilisation de la région.
L’accord tripartite signé à Addis-Abeba il y a trois mois entre la RDC, le Rwanda et le HCR apparaît aujourd’hui comme un instrument aux interprétations divergentes. Si Kinshasa y voit un cadre pour un rapatriement organisé et sécurisé, les conditions posées à Genève suggèrent une application beaucoup plus restrictive que ce que Kigali pourrait souhaiter. Le gouvernement congolais marque ainsi son territoire, rappelant que toute initiative concernant les réfugiés doit passer par les canaux étatiques légitimes.
La situation des réfugiés congolais dans les pays voisins représente un enjeu humanitaire colossal. Avec plus de 600 000 personnes en Ouganda seulement, sans compter les flux vers le Burundi et le Rwanda, la crise dépasse largement le cadre bilatéral RDC-Rwanda. Pourtant, c’est bien dans cette relation conflictuelle que se joue une partie essentielle de la solution. Le processus paix est RDC peut-il véritablement avancer sans une résolution préalable de la question des réfugiés ?
Les déclarations de Genève interviennent à un moment charnière, alors que les processus de paix de Washington et du Qatar tentent de trouver une issue au conflit. La question des réfugiés, longtemps reléguée au second plan, apparaît désormais comme un élément central des négociations. En posant des conditions claires, Kinshasa cherche peut-être à tester la sincérité des engagements rwandais dans ces différents forums de dialogue.
La balle est désormais dans le camp de Kigali. Acceptera-t-il ces conditions pour un retour des réfugiés congolais, ou y verra-t-il une tentative de Kinshasa de gagner du temps sur le terrain diplomatique ? La réponse conditionnera non seulement le sort de milliers de réfugiés, mais aussi l’avenir des relations entre les deux pays et la stabilité de toute la région des Grands Lacs.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd