Dans l’écrin culturel du Tarmac des Auteurs, un souffle tragique venu du Golfe de Guinée s’apprête à caresser les murs de Kinshasa. « Isis-Antigone ou la tragédie des corps dispersés » n’est pas qu’une simple pièce de théâtre – c’est un voyage aux confins de la mémoire collective, une plongée dans les abysses de la douleur humaine qui transcende les frontières et les époques.
Comment une œuvre peut-elle porter à la fois l’écho des mythologies antiques et la vibration des traumatismes contemporains ? La réponse se niche dans la plume acérée de Kossi Efoui, auteur togolais dont la résonance dépasse largement les scènes africaines. Avec les metteurs en scène Gaetan Noussouglo et Marcel Djondo, il tisse une toile dramatique où chaque fil semble relié aux veines ouvertes de l’histoire.
La pièce de théâtre RDC qui s’annonce au Tarmac des Auteurs puise sa force dans une métaphore centrale : celle des corps dispersés, ces restes humains éparpillés par les conflits, les naufrages ou les exils. Ne sommes-nous pas tous, à divers degrés, les héritiers de corps dispersés ? Les gardiens de mémoires fragmentées que nous tentons de rassembler dans le creuset de notre identité ?
La culture congolaise, si riche en résilience et en métamorphoses, ne pouvait qu’accueillir avec ferveur cette réflexion sur la mémoire et l’oubli. Les planches du Tarmac des Auteurs deviendront, le temps de quatre représentations, le sanctuaire où s’opérera cette alchimie entre le texte et les corps, entre le passé et le présent.
La musique, les costumes, la gestuelle – tout concourt à créer une expérience sensorielle totale. Les couleurs semblent dialoguer avec les silences, les mouvements épousent les respirations du texte. Cette approche conventionnelle mais profondément renouvelée fait d’Isis-Antigone bien plus qu’un spectacle : c’est une cérémonie où le public devient participant actif dans ce travail de mémoire.
Après avoir traversé la France, la Belgique, le Togo et le Bénin, cette œuvre trouve en terre kinoise un écho particulier. Kinshasa, ville-monde aux multiples strates mémorielles, ne pourrait-elle être le lieu idéal pour accueillir cette méditation sur la dispersion et la reconstruction identitaire ?
Le programme des représentations s’étale du 8 au 11 octobre, avec une séance scolaire qui ouvrira le bal, suivie de la représentation principale le 9 octobre à 20h30. Les derniers échos résonneront à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa et chez Les Oblas, dessinant ainsi une cartographie culturelle de la ville à travers ce seul événement.
Qu’apporte cette pièce de théâtre Kinshasa à la scène culturelle congolaise ? Une profondeur de réflexion rare, une audace formelle qui n’a pas peur de mêler les références mythologiques aux préoccupations les plus contemporaines. Le théâtre devient ici espace de résistance contre l’oubli, contre la fragmentation des récits qui constituent notre humanité.
Dans une époque où les corps continuent de se disperser aux frontières, dans les conflits oubliés ou les naufrages médiatiques, Isis-Antigone pose une question fondamentale : comment faire le deuil de ce qui ne nous appartient plus ? Comment honorer la mémoire de ceux dont nous n’avons même pas pu recueillir les restes ?
Le Tarmac des Auteurs confirme ainsi son rôle de phare culturel dans le paysage kinois, offrant une programmation qui n’a pas peur de la complexité et de l’engagement. Cette pièce s’inscrit dans une tradition théâtrale africaine qui, depuis des décennies, utilise la scène comme laboratoire des identités et des mémoires.
Alors que les lumières se braqueront sur les comédiens, c’est toute une communauté qui se retrouvera face à ses propres fantômes, ses propres dispersions. Le théâtre redevient ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un espace de catharsis collective, où la beauté naît de la confrontation avec nos parts d’ombre.
Isis-Antigone au Tarmac des Auteurs n’est pas qu’un événement culturel – c’est une invitation à regarder en face nos tragédies intimes et collectives, à accepter que la mémoire, même douloureuse, constitue le terreau de notre humanité future.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Eventsrdc
