Dans les collines verdoyantes du territoire de Masisi, au Nord-Kivu, une opération censée moderniser le système éducatif vire au cauchemar pour près de cent enseignants. Comment une procédure de contrôle biométrique, destinée à réactualiser les listes des enseignants, peut-elle se transformer en source de corruption supplémentaire ? C’est la question que se posent amèrement les éducateurs de la zone de Ufamandu, confrontés à une demande de paiement illicite alors qu’ils n’ont pas perçu de salaire depuis plus de quatre mois.
Du 20 au 23 septembre 2025, la division provinciale de l’EPST Nord-Kivu 3 déploie son équipe pour le contrôle biométrique des enseignants. Mais rapidement, des rumeurs de monnayage commencent à circuler. Un inspecteur, agissant seul selon les autorités, aurait exigé 10 000 francs congolais (environ 3,5 USD) par enseignant pour procéder au contrôle. Une somme modeste en apparence, mais insurmontable pour des éducateurs dont les salaires accumulent les retards.
« Comment pouvons-nous payer pour un service qui devrait être gratuit alors que nos familles souffrent de la faim ? », s’indigne un enseignant sous couvert d’anonymat. « Depuis quatre mois, nous travaillons sans rémunération, et voilà qu’on nous demande encore de l’argent pour simplement exister dans le système. »
La situation illustre les profondes difficultés du système éducatif congolais, particulièrement dans les zones rurales comme Masisi. Le contrôle biométrique, pourtant essentiel pour lutter contre les fraudes et garantir le paiement des enseignants légitimes, devient paradoxalement une nouvelle épreuve pour ceux qu’il devrait protéger.
Face à la grogne montante, les autorités éducatives ont réagi promptement. Le chef de la sous-division EPST/Masisi 4 a confirmé avoir reçu les plaintes et pris des mesures disciplinaires contre l’inspecteur incriminé. « L’inspecteur a agi seul, en violation des instructions strictes du ministère qui interdisent toute perception d’argent », précise-t-il. L’agent a été suspendu dans l’attente de sanctions appropriées.
Mais cette réponse institutionnelle suffira-t-elle à calmer la colère des enseignants ? La question du monnayage lors du contrôle biométrique s’inscrit dans un contexte social déjà très tendu. Depuis plusieurs mois, les enseignants de la région réclament le paiement de leurs arriérés de salaires et la régularisation de leurs primes. Cette nouvelle affaire de corruption vient exacerber un mécontentement latent.
« Cette histoire de monnayage n’est que la partie visible de l’iceberg », analyse un observateur du secteur éducatif local. « Le vrai problème, c’est la précarité dans laquelle travaillent ces enseignants. Quand le système ne les paye pas pendant des mois, comment s’étonner que certains agents cherchent à profiter de la situation ? »
La menace de grève plane désormais sur les écoles de Ufamandu. Environ cent enseignants concernés par cet incident pourraient décider de suspendre leurs activités si leurs doléances ne sont pas entendues. Une perspective inquiétante dans une région où l’accès à l’éducation reste déjà fragile.
Cette affaire pose des questions fondamentales sur la gouvernance du système éducatif congolais. Comment garantir l’intégrité des procédures administratives dans un contexte de pénurie financière ? Quels mécanismes de contrôle mettre en place pour prévenir les dérives ? Le ministère de l’EPST devra répondre à ces interrogations pour restaurer la confiance des enseignants.
Au-delà de la suspension d’un inspecteur, c’est toute la chaîne de responsabilité qui doit être examinée. Les enseignants de Masisi attendent plus que des mesures disciplinaires ponctuelles. Ils réclament une solution durable à leurs problèmes de paiement et la garantie que de telles pratiques de monnayage ne se reproduiront plus.
Alors que le contrôle biométrique se poursuit dans d’autres zones de la province, les autorités éducatives devront redoubler de vigilance. La crédibilité de toute la réforme dépend de sa capacité à se dérouler dans la transparence et le respect des droits des enseignants. Dans le Nord-Kivu comme ailleurs en RDC, l’éducation ne peut se construire sur fond de corruption et d’impunité.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: radiookapi.net