Les couloirs du pouvoir provincial résonnent d’un appel poignant. À Bukavu, des centaines d’agents de l’administration publique vivent un calvaire silencieux depuis février dernier, leurs salaires bloqués sans explication officielle. La députée provinciale Béatrice Nanvano, voix tremblante d’indignation, brise ce silence dans une correspondance officielle adressée au gouverneur Jean-Jacques Purusi.
« Imaginez-vous, chers compatriotes, devoir choisir entre soigner votre enfant malade ou lui offrir un repas décent ? », lance un agent du service des impôts sous couvert d’anonymat, les traits tirés par six mois de privations. Comme lui, des milliers de fonctionnaires du Sud-Kivu survivent dans une précarité humiliante, incapables de payer le loyer ou la scolarité de leurs enfants. Cette réalité brutale, Béatrice Nanvano l’a couchée noir sur blanc : « Ces agents de l’État mènent une vie très difficile et compliquée avec la situation actuelle ».
Comment justifier cette paralysie salariale dans les territoires épargnés par l’AFC/M23 ? La question, lancinante, traverse les rangs de la société civile. Si l’élue reconnaît l’impact des conflits armés sur les caisses provinciales, son argument frappe comme un couperet : « Les zones sous contrôle gouvernemental génèrent toujours des recettes. La province reçoit sa rétrocession financière comme prévu ». Un constat qui transforme la crise sociale en énigme administrative. Pourquoi Bukavu, épicentre économique régional, ne parvient-il pas à honorer ses engagements envers ses propres serviteurs ?
Le spectre de la défiance rôde. Nanvano rappelle avec force que ces agents « sont restés fidèles à l’État », contrairement à certains éléments ayant rejoint la rébellion. Ne pas les rémunérer reviendrait-il à punir la loyauté ? Dans les marchés de Kadutu, des femmes d’agents publics vendent désormais des beignets au bord des routes. « Mon mari est percepteur, mais c’est moi qui fais vivre la famille maintenant », confie Mama Léontine, les mains plongées dans l’huile bouillante. Cette débrouille forcée illustre l’érosion du statut de fonctionnaire, jadis pilier de la classe moyenne congolaise.
L’appel pressant de la députée de Walungu dépasse la simple régularisation comptable. Il touche au contrat moral entre l’État et ses serviteurs. Exiger la rétrocession des finances provinciales pour solder les arriérés devient une question de crédibilité gouvernementale. « Aucune raison ne justifie ce non-paiement », martèle-t-elle, exigeant des mesures immédiates avant que cette crise ne dégénère en mouvement social généralisé. Dans un pays où les agents de l’État constituent l’armature des services publics, leur paupérisation programmée sonne comme un glas funèbre pour l’autorité de Kinshasa dans l’Est. La balle est désormais dans le camp du gouverneur Purusi : sa réponse – ou son silence – dessinera l’avenir social du Sud-Kivu.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net