« Nos enfants pleurent la faim au ventre, couchés sur la terre nue. Regardez ces bâches déchirées : est-ce un toit pour des humains ? » La voix ravagée de Balume Bahavu, président du site Amani à Kalehe, résume le calvaire des 380 ménages relocalisés après les inondations catastrophiques du 4 mai 2023. Plus d’un an après la tragédie qui emporta vies et espoirs, ces familles originaires de Bushushu et Nyamukubi survivent dans un dénuement insoutenable.
Les bâches humanitaires, ultime rempart contre les éléments, se désagrègent sous les pluies et le soleil équatorial. Des abris de fortune transformés en pièges humides où s’entassent des familles entières, contraintes de dormir à même le sol glaiseux. « Sans nattes, sans draps, comment ne pas tomber malade ? » interroge une mère tenant son enfant au ventre ballonné, signe indéniable de malnutrition. Les cliniques mobiles, trop rares, ne suffisent plus à endiguer les infections respiratoires et cutanées qui rongent les plus vulnérables.
La véritable plaie béante reste la faim. Balume montre d’un geste las les collines environnantes : « Nos champs gisaient là-bas. L’érosion les a avalés avec nos semences et notre avenir. » La destruction des terres agricoles a coupé l’unique cordon ombilical qui reliait ces communautés à leur autonomie alimentaire. Aujourd’hui, la survie dépend d’un aide humanitaire erratique, comme un goutte-à-goutte dans un désert de besoins. Les distributions de vivres, toujours insuffisantes, créent des files d’attente où l’angoisse le dispute à la dignité perdue.
Comment en est-on arrivé là, douze mois après le drame qui fit 438 morts et plus de 5 000 disparus ? La relocalisation sur le site Amani, présentée comme une solution d’urgence, s’est muée en piège durable. Les promesses d’abris pérennes se sont envolées comme poussière sous la pluie. L’accès à l’eau potable relève du parcours du combattant, transformant chaque corvée hydrique en expédition périlleuse. Quant aux écoles, elles restent un luxe inabordable pour des enfants dont le seul apprentissage est celui de la privation.
Le Sud-Kivu porte cette double peine : avoir survécu aux eaux déchaînées pour sombrer dans l’oubli. Les signaux d’alarme crèvent les yeux – ventres gonflés des enfants de Bushushu, regards vitreux des vieillards de Nyamukubi – mais l’élan de solidarité initial s’est essoufflé. Pendant que les sinistrés mendient un peu de maïs, l’érosion continue son œuvre silencieuse, rongeant les flancs des collines comme un cancer environnemental.
Derrière les statistiques froides – 380 ménages, 5 000 disparus – se cache une question brûlante : quelle reconstruction possible sans terres cultivables, sans toits stables, sans filet social ? La dépendance à l’aide extérieure crée une génération d’otages humanitaires. Les besoins criants – abris durables, semences, centres de santé – attendent toujours une réponse à la hauteur du cataclysme. Un an après, le site Amani ressemble moins à un havre de paix qu’à un purgatoire de boue et de résignation. Jusqu’à quand Kalehe devra-t-elle crier dans le vide avant que son désespoir ne trouve écho ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net