Dans la pénombre d’une hutte de Mbinga Nord, dix paires d’yeux fixent le même bol de maniocre maigrement assaisonné. « Hier c’était racines de brousse, demain sera-t-il vide ? » murmure Kavira, mère de huit enfants, résumant le cauchemar quotidien de milliers de ménages du groupement de Kalehe. Le rapport accablant d’avril dernier de la Synergie des organisations paysannes contre la faim confirme l’effondrement nutritionnel : 76% des foyers survivent avec un seul repas quotidien, pauvre en protéines comme en calories.
« Voir des enfants partager trois patates pour toute la journée brise l’âme », témoigne Bodson Habamungu, coordonnateur de la structure. Des cas de malnutrition aiguë surgissent dans des hameaux reculés où nulle assistance n’arrive. Mais comment en est-on arrivé là ? La réponse se niche dans la double tragédie de début 2025. Entre janvier et février, tandis que les populations fuyaient les combats féroces opposant FARDC et rebelles AFC-M23, des pillages systématiques ont vidé greniers et enclos. Bétail abattu sur place, récoltes incendiées : le conflit AFC-M23 a anéanti trois saisons agricoles d’un coup.
Pire, le retour des déplacés s’est heurté à un mur invisible. « Les grands propriétaires terriens exigent désormais l’équivalent de deux récoltes pour louer un lopin ! » dénonce Habamungu. Cette privatisation abusive des terres arables en RDC étrangle l’autosuffisance. Résultat : à Mbinga Nord, 89% des parcelles cultivables sont inaccessibles aux paysans historiques, transformant la crise humanitaire en piège permanent.
Face à cette agonie organisée, un phénomène social bouleversant émerge. Les femmes, dos courbé mais regard inflexible, sont devenues les colonnes vertébrales de la résilience. Au marché de Bunyakiri, Jeanne vend des fagots de bois après huit heures de marche en brousse : « Mon mari est trop affaibli. Si je ne trime pas, mes enfants meurent. » Ces héroïnes anonymes cumulent travaux champêtres, petit commerce et recherche d’eau potable – trois à cinq activités journalières pour gagner moins de 1 000 francs congolais (0,30$).
Pourtant, leur courage bute sur des réalités implacables. L’insécurité alimentaire au Sud-Kivu a réduit la ration calorique à 1 200 kcal/jour contre 2 100 recommandés. La malnutrition à Kalehe touche désormais 41% des enfants de moins de cinq ans selon les relevés sanitaires locaux. Une génération sacrifiée sur l’autel des conflits armés et de l’accaparement des terres.
La crise humanitaire à Mbinga Nord illustre tragiquement l’engrenage congolais : insécurité nourrissant la faim, faim exacerbant les tensions. Alors que les bailleurs internationaux réduisent drastiquement l’aide d’urgence, une question brûle les consciences : jusqu’à quand la République pourra-t-elle ignorer l’hémorragie de ses campagnes ? Le drame silencieux de Kalehe sonne comme un avertissement : sans accès équitable aux terres arables et sans paix durable, le spectre de la famine deviendra chronique.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net