Un projet d’accord de paix entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, négocié sous l’égide des États-Unis et du Qatar, doit être formellement signé le 27 juin 2025 à Washington. Les ministres des Affaires étrangères de Kinshasa (Thérèse Kayikwamba Wagner) et de Kigali (Olivier Nduhungirehe) procéderont à cette signature en présence du secrétaire d’État américain Marco Rubio. En amont de ce rendez-vous, les équipes techniques des deux pays ont déjà paraphé un texte provisoire lors de trois jours de discussions à Washington, le 18 juin.
Ce « texte d’accord », fondé sur une déclaration de principes signée le 25 avril 2025, comporterait des engagements précis (désarmement et intégration des rebelles, respect de l’intégrité territoriale, mécanisme conjoint de sécurité, retour des réfugiés, coopération économique régionale…). Mais il suscite aussi de fortes réserves en RDC, où l’on craint pour la souveraineté nationale. Plusieurs observateurs et responsables congolais dénoncent un processus précipité, qualifié de « secret » et « mal conçu », et rappellent que des accords antérieurs (Nairobi, 2013 et Luanda, 2024) ont échoué faute d’être appliqués sur le terrain. Cet article fait le point sur le contexte du conflit Est-Congo, le chemin diplomatique parcouru, le contenu du projet d’accord, les positions de Kinshasa et de Kigali, ainsi que les enjeux et les doutes entourant cette initiative.
Un conflit ancien relancé par la rébellion du M23
L’Est de la RDC connaît depuis trente ans une insécurité chronique liée aux nombreux groupes armés qui se disputent les richesses minières de la région (or, cobalt, coltan, etc.). La situation a brutalement dégénéré début 2025 lorsque le M23, une rébellion à base majoritairement tutsie née en 2021, a lancé une offensive éclair en s’emparant de Goma puis de Bukavu, les deux principales villes du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Ce soulèvement a fait des milliers de morts et déplacé des centaines de milliers de civils. Kinshasa accuse ouvertement le Rwanda de soutenir militairement le M23 – des estimations onusiennes parlent de 3 000 à 7 000 soldats rwandais envoyés dans l’Est congolais – tandis que Kigali dément tout appui et se présente comme protégeant sa propre sécurité contre les FDLR (mouvements d’extrémistes hutus rwandais réfugiés en RDC depuis 1994).
Cette crise est devenue « un conflit de trente ans » qui a fait « des millions de victimes », résume le président congolais Félix Tshisekedi. L’année 2025 a été marquée par la conquête par le M23 de vastes territoires miniers, renforçant les craintes d’une « déstabilisation » régionale. Dans ce contexte, la diplomatie congolaise insiste sur la protection de la souveraineté et la sécurité nationales. La porte-parole de la présidence a ainsi réaffirmé l’objectif de Kinshasa : obtenir le « désengagement ou retrait total » des troupes étrangères sur le sol congolais. Pour la RDC, le problème est aussi économique : comme le souligne le chef de l’État congolais, « cette guerre est fondamentalement une guerre économique », liée au contrôle des richesses naturelles.
Un processus diplomatique mené par les États-Unis et le Qatar
Après l’échec d’une médiation angolaise en 2024, la diplomatie américaine (administration Trump) a repris en main le dossier. Début avril, les ministres congolais et rwandais des Affaires étrangères ont signé à Washington une Déclaration de principes, qui appelait au respect mutuel de l’intégrité territoriale et à la fin des hostilités. Dans la foulée, un groupe d’experts techniques s’est réuni à Washington du 15 au 18 juin pour finaliser un accord plus concret. Les discussions ont été menées « sous l’égide » des États-Unis et du Qatar, les deux pays coordonnant leurs démarches de paix. L’envoyé spécial américain pour l’Afrique, Massad Boulos, avait par exemple effectué en mai plusieurs visites à Kinshasa et Kigali, exhortant Kigali à cesser son soutien supposé au M23.
Selon un communiqué conjoint, ces trois jours de « dialogue constructif » ont abouti à un texte comportant des dispositions politiques, sécuritaires et économiques. Cette version provisoire du futur accord a été paraphée par les délégués congolais et rwandais le 18 juin, en présence notamment d’Allison Hooker (secrétaire d’État adjointe américaine aux affaires politiques). C’est ce document — et non une simple déclaration de principes — que les ministres congolais et rwandais signeront à Washington le 27 juin. Les Chefs d’État (Félix Tshisekedi et Paul Kagame) ne doivent pas signer d’autre texte à l’issue de cette réunion ministérielle, a précisé le ministre rwandais Olivier Nduhungirehe. L’idée est en revanche qu’ils se retrouvent éventuellement par la suite pour débattre du déploiement du plan de paix et du développement régional, non pour ratifier formellement l’accord.
Les engagements clés du futur accord
Le texte final, qui « s’inspire » de la déclaration d’avril, prévoit plusieurs engagements concrets des deux parties. D’après le communiqué du département d’État américain, il inclut notamment :
- Interdiction des hostilités et respect de la souveraineté : les signataires s’engagent à cesser les attaques et les opérations militaires mutuelles. L’accord réaffirme le « respect de l’intégrité territoriale » de chaque pays.
- Désengagement et désarmement des groupes armés non étatiques : les rebelles (dont le M23 et ses alliés de l’« Alliance du fleuve Congo ») devront se retirer des postes conquis et déposer les armes. Certains groupes pourront être conditionnellement intégrés dans l’armée congolaise, selon des critères à définir.
- Mécanisme conjoint de sécurité (CONOPS) : mise en place d’une coordination militaire conjointe basée sur un plan d’opérations (CONOPS) élaboré antérieurement (31 oct. 2024), afin de surveiller la frontière et de coordonner les opérations contre les milices (notamment le FDLR).
- Retour des déplacés et accès humanitaire : facilitation du rapatriement des réfugiés congolais au Rwanda et la réintégration des déplacés internes, avec un accès sécurisé à l’aide humanitaire pour les populations affectées.
- Intégration économique régionale : création d’un cadre de coopération économique bilatérale et régionale. Ce volet vise à attirer des investissements étrangers massifs dans les minerais (cobalt, lithium, cuivre, or…) et à développer des « chaînes de valeur régionales » incluant la RDC et le Rwanda. Le secrétaire d’État Rubio a souligné que ce « corridor de paix et d’investissement » ouvrirait des opportunités économiques inédites.
Dans l’ensemble, le projet d’accord comporte donc les grandes lignes suivantes : fin des combats, retrait progressif des rebelles ou fusion avec l’armée congolaise, vérification conjointe du territoire, retour des populations et développement économique commun. Sur le papier, ces engagements représentent un compromis notable : par exemple, Kinshasa accepte de reconnaître le concept d’intégration de certains rebelles, ce qui serait inédit pour le M23, tandis que Kigali semble finalement accepter, sous condition, le retrait de ses troupes et le dialogue. Les détails seront formalisés dans le texte final signé le 27 juin.
Positions officielles : Kinshasa exige un retrait total, Kigali défend ses mesures « défensives »
En RDC, les autorités restent très prudentes. Le président Félix Tshisekedi a indiqué que cet accord, « dont la signature est prévue à Washington », vise avant tout à « mettre fin à la guerre » et à obtenir le « retrait inconditionnel des groupes armés » étrangers (sous-entendu les forces rwandaises et leurs alliés). Pour lui, il ne s’agit pas seulement de sécurité militaire : il a rappelé la dimension « économique » du conflit, résultant d’intérêts étrangers sur les ressources du sol congolais. Dans une interview récente, Tshisekedi a salué l’implication de Donald Trump comme « prise de conscience » américaine sur ce conflit de longue durée. Il reste cependant sceptique quant à la mise en œuvre : il a d’ores et déjà prévenu qu’il « faudra plus que des promesses » pour ramener la paix dans l’Est.
Le Gouvernement congolais a publiquement insisté sur la nécessité d’un retrait total des forces rwandaises de son territoire. Un responsable sous couvert d’anonymat a ainsi déclaré à Reuters : « Nous demandons le retrait total des troupes rwandaises comme condition pour signer l’accord, et nous ne ferons aucun compromis sur ce point ». Plus récemment, la porte-parole du président Tshisekedi, Tina Salama, a réaffirmé l’objectif de « désengagement ou retrait total » des forces étrangères présentes dans l’Est.
Du côté rwandais, la ligne officielle est de minimiser cette pression. Kigali dément depuis toujours intervenir en RDC et affirme que ses troupes ne sont que des « mesures défensives » face aux miliciens FDLR. La porte-parole du gouvernement rwandais, Yolande Makolo, a ainsi expliqué que la levée des « mesures défensives » rwandaises à la frontière serait conditionnée à la « neutralisation » des FDLR. Le ministre des Affaires étrangères Nduhungirehe a lui-même précisé que l’accord en préparation ne prévoyait pas de « retirer 7 000 soldats du jour au lendemain », mais un retrait progressif lié à la sécurité du Rwanda. Kigali soutient aussi que le M23 ne sera pas directement traité dans cet accord global : la « question du M23 » serait laissée aux discussions en cours à Doha sous médiation qatarie. Concrètement, un officiel rwandais cité par la presse congolaise a expliqué que les experts avaient déjà négocié et paraphé l’accord final, et que les ministres ne feraient que le signer sans renégociations.
Sur le plan politique, le Rwandais Paul Kagame s’est peu exprimé publiquement ces derniers jours, mais il est connu pour qualifier les FDLR d’« organisation terroriste » menaçant la sécurité rwandaise. Dans la presse congolaise, certains diplomates rwandais proches du dossier affirment que la coexistence avec Kinshasa passe par la réalisation du « plan harmonisé » de neutralisation des FDLR convenu auparavant. Pour Kigali, le retrait des troupes dépendra donc en partie du calendrier des opérations contre ces miliciens, plutôt que d’une négociation bilatérale simple.
Enjeux pour la RDC : sécurité, souveraineté et développement
Pour le Congo, les enjeux de cet accord sont énormes. En premier lieu, il s’agit de ramener la paix et la sécurité dans une région dévastée. Si l’accord tient, les groupes armés pourraient être démantelés ou réintégrés, et les violences devraient cesser. Comme l’explique Tshisekedi, la RDC « sait que le monde regarde » cette initiative et veut « plus que des promesses ». Le volet économique est aussi en ligne de mire : la fin du conflit permettrait de relancer l’exploitation des mines congolaises, dans lesquelles les pays occidentaux – et en particulier les États-Unis – voient un énorme potentiel. En effet, ce processus de paix est étroitement lié à des projets d’investissements étrangers. Washington a clairement évoqué l’intention de débloquer des « milliards de dollars » dans les réserves congolaises de cobalt, lithium, cuivre, or et autres minerais stratégiques.
Autre enjeu majeur, la question de la souveraineté. De nombreux Congolais redoutent que cet accord ne devienne une forme de concession de leur territoire. Une coalition de 80 organisations non gouvernementales (MOSSAC) a par exemple publié un appel urgent pour alerter la population : le texte, tenu « secret » et non présenté aux Congolais, « finira par diminuer la souveraineté de la RDC sur ses terres, ses ressources, son économie et son armée ». Ces ONG dénoncent plusieurs clauses comme dangereuses : un désarmement qui perturberait l’armée, un mécanisme conjoint de sécurité « qui permettra aux forces rwandaises de rester en RDC », ou encore un volet économique qui « récompenserait le Rwanda pour son invasion ».
L’opinion publique congolaise suit donc avec méfiance ces discussions. Dans l’Est, les populations déplacées attendent surtout que la sécurité revienne pour rentrer chez elles, après avoir vu leurs terres occupées. Au plan politique, l’opposition et la société civile insistent sur l’application d’une paix véritable incluant la justice pour les crimes passés. Or, l’accord de Washington ne parle pas des poursuites contre les auteurs présumés de violences. Enfin, il faut rappeler que les précédents mécanismes de paix ont peu bénéficié aux Congolais. L’accord de Nairobi (décembre 2013) signé après la défaite du M23 n’a pas empêché la résurgence du mouvement en 2021. Plus récemment, le sommet de Luanda (déc. 2024) devait aboutir à un accord présidentiel, mais la signature fut torpillée par des désaccords internes – notamment au sujet du M23 – et par le veto de la diplomatie congolaise.
Doutes et limites : accord bilatéral et espoirs fragiles
Au vu de l’histoire, ce nouvel accord suscite plusieurs interrogations. D’abord, son statut reste flou : ce n’est à l’évidence pas un traité final signé par les deux chefs d’État, mais un engagement ministériel à l’étape de Washington. Kinshasa et Kigali devront ensuite transposer ce texte dans leurs lois et sur le terrain, ce qui prendra du temps. De plus, l’accord ne règle pas la question centrale du M23 dans l’immédiat : celle-ci sera renvoyée à des discussions séparées à Doha. Le M23 lui-même, qui ne participe pas encore officiellement aux négociations, reste un acteur clé dont l’intégration politique ou militaire est controversée.
Ensuite, la confiance fait cruellement défaut. Comme l’a fait remarquer la presse, une demi-douzaine de cessez-le-feu signés depuis 2021 ont systématiquement été violés par les belligérants. Rares sont les garanties que cette fois-ci les deux camps tiendront parole. L’ONU a dénoncé à plusieurs reprises la complaisance du Rwanda vis-à-vis du M23, tandis que Kigali critique l’affaiblissement des capacités de défense congolaises si les groupes armés étaient démantelés sans solution alternative au problème FDLR.
Enfin, certains voix s’alarment du rôle grandissant des intérêts étrangers : l’accord a été négocié à Washington, avec l’ONU presque absente, et des clauses économiques motivées par l’appétit des investisseurs étrangers. Les ONG congolaises craignent qu’on « normalise » des prises de contrôle illégales de terres par des alliés de Kigali (M23, milices) sous couvert d’intégration économique.
En résumé, l’accord de paix RDC–Rwanda qui doit être signé le 27 juin à Washington est bien réel et issu de plusieurs jours de négociations actives. Mais il s’agit d’un texte « provisoire » censé être entériné à l’avenir. Ses engagements, même s’ils sont suffisamment détaillés pour enclencher le dialogue, n’en donnent qu’une feuille de route incomplète. Pour la RDC, l’enjeu est d’abord que le retrait rwandais soit effectif et sous contrôle international, et que la guerre soit réellement éteinte sans céder trop de souveraineté. Du côté rwandais, l’accord est perçu comme une opportunité, mais aussi comme un test : Kigali veut s’assurer que son « droit à la sécurité » est pris en compte (notamment contre la menace du FDLR) avant de lâcher du lest. De nombreux Congolais restent donc sur leurs gardes, conscients que les « grands négociateurs » angolais ou ougandais n’ont pas réussi là où la volonté internationale s’exerce.
Sources : Communiqués officiels et articles de presse internationale et congolaise (Al Jazeera, Reuters, Le Monde, Actualité.cd, etc.) ainsi que déclarations des autorités citées.