Des armoires raffinées aux chaises élégantes exposées dans les showrooms de Kigali, le luxe rwandais repose sur un secret inavouable : une hémorragie forestière en République démocratique du Congo. Chaque année, entre 300 000 et 500 000 m³ de bois précieux franchissent illégalement la frontière, alimentant un marché juteux où une simple planche congolaise se monnaye jusqu’à 167 USD. Mais à quel prix pour les écosystèmes du Nord-Kivu ?
Dans les territoires de Beni et Lubero, l’exploitation forestière illégale en RDC est devenue l’économie de guerre des groupes armés. « Seules les opérations artisanales subsistent ici, mais la plupart des zones sont sous l’influence d’acteurs armés », alerte Salumu Mawaya, président d’une coopérative locale. Les Forces démocratiques alliées (ADF) taxent chaque grume dans des régions reculées comme Manguredjipa ou Kasugho, transformant les forêts en financement d’opérations meurtrières. Pis : les parcs nationaux de Virunga et Kahuzi-Biega, pourtant sanctuaires du patrimoine mondial, sont méthodiquement saignés à blanc.
Le trafic transfrontalier Virunga fonctionne comme une machine bien huilée. Par le poste-frontière de Kasindi ou les 150 passages informels, le bois congolais Rwanda destiné prend la route des ateliers rwandais sans aucun contrôle. « Il n’existe aucun système permettant de distinguer le bois légal du bois illégal. Une fois à la frontière, il suffit de payer les taxes », dénonce Bizimana Mohamed, transporteur. Une complicité passive des autorités ? Le ministre rwandais du Commerce Prudence Sebahizi admet lui-même qu’« aucun document spécifique n’est requis pour importer du bois ». Cette faille réglementaire ouvre grand les vannes au pillage organisé.
Les conséquences écologiques sont catastrophiques. Dans le parc de Kahuzi-Biega, la déforestation Nord-Kivu atteint des niveaux alarmants. « L’exploitation forestière au Congo est souvent illégale, surtout dans les zones protégées. Elle se poursuit sous la couverture d’individus puissants », accuse Raymond Buralike, président de la société civile de Kabare. Des soldats congolais et ougandais participeraient même à l’abattage nocturne, selon Fataki Baloti de SAPEDIC. Résultat : des espèces précieuses comme le Libuyu ou l’Afromosia – pouvant vivre un siècle – disparaissent à un rythme effréné pour finir en meubles luxe bois RDC vendus 15 fois leur valeur initiale.
Pendant que les ateliers de Wood Habitat ou Inwood Rwanda transforment ce bois sanglant en tables ouvragées, les forêts congolaises suffoquent. Le parc des Virunga, déjà martyrisé par les conflits, voit sa biodiversité sacrifiée sur l’autel du profit immédiat. Certains fabricants promettent un approvisionnement durable d’ici 2025, mais ces promesses sonnent creux face à l’urgence. Combien d’hectares de forêt primaire seront dévorés d’ici là ? La communauté internationale restera-t-elle spectatrice de ce carnage écologique ?
La solution passe par un cadastre forestier urgent, un contrôle renforcé aux frontières et surtout, une pression accrue sur Kigali pour traquer l’origine réelle de son bois. Car derrière chaque meuble « made in Rwanda » se cache un morceau de Congo volé. L’asphyxie programmée des poumons verts d’Afrique centrale n’est pas une fatalité, mais le temps presse : les forêts de l’Est congolais peuvent-elles survivre à la soif de luxe de leurs voisins ?
Article Ecrit par Miché Mikito
Source: Actualite.cd