La récente proposition de Martin Fayulu de créer un « camp pour la patrie », suite à sa rencontre avec le président Félix Tshisekedi, suscite des remous au sein de la classe politique congolaise. Présentée comme une réponse à la crise sécuritaire dans l’Est de la RDC, cette initiative est perçue par une frange de l’opposition comme un instrument de division plutôt qu’un vecteur d’unité nationale. Dans un contexte où la menace des groupes rebelles pèse lourdement sur l’est du pays, cette stratégie politique soulève des questions fondamentales sur les méthodes de gouvernance et la recherche de cohésion.
Marie-Ange Mushobekwa (PPRD) a ouvert les hostilités sur les réseaux sociaux, qualifiant ce concept de « slogan manipulateur ». « Le camp dit ‘de la Patrie’ n’a pas le monopole de l’amour de notre pays », a-t-elle martelé, pointant du doigt les détournements de deniers publics qui, selon elle, minent les fondements de la nation. Son analyse rejoint celle de nombreux observateurs : cette rhétorique ne serait-elle pas un artifice pour stigmatiser les dissidents politiques ? La critique porte particulièrement sur l’absence de sanctions contre la corruption, véritable « menace de balkanisation » selon l’opposante.
Jean-Marc Kabund, ancien président intérimaire de l’UDPS, enfonce le clou en qualifiant l’initiative d’« erreur stratégique majeure ». Dans sa perspective, la création d’un camp opposé à un « anti-patrie » hypothèque toute possibilité de dialogue inclusif et de réconciliation nationale. « Le véritable camp de la patrie ne peut être un instrument d’exclusion », renchérit Francine Muyumba, ex-sénatrice du FCC, pour qui les vrais combats se situent contre « la division ethnique entretenue » et « les détournements massifs ». Ces voix discordantes soulignent un paradoxe troublant : comment prétendre unifier le Congo tout en traçant des lignes de fracture politiques ?
Face à ces critiques acerbes, Martin Fayulu s’est empressé de clarifier sa position dans un communiqué publié ce lundi. Le leader d’ECiDé défend son « camp de la patrie » comme un « état d’esprit » transcendant les clivages ethniques et régionaux, invoquant la nécessité de résister à la « balkanisation du pays ». Sa rencontre avec Tshisekedi, affirme-t-il, visait à plaider pour la réception des évêques porteurs d’un pacte social pour la paix dans les Grands Lacs. Mais cette justification semble en décalage avec les attentes de la classe politique, qui réclame un dialogue sincère plutôt que des slogans binaires.
La controverse révèle une fracture plus profonde dans l’approche de la crise sécuritaire à l’Est. Alors que Kabund et Muyumba appellent à un « dialogue urgent avant qu’il ne soit trop tard », le « camp patrie » de Fayulu apparaît pour ses détracteurs comme une manœuvre de diversion. L’ironie est palpable : une initiative censée fédérer les énergies patriotiques devient le catalyseur de nouvelles divisions. Cette polarisation n’entrave-t-elle pas la réponse coordonnée exigée par l’urgence sécuritaire ?
L’enjeu dépasse la simple querelle sémantique. Dans un pays miné par « l’intolérance et la violence dans la gestion de l’État » – selon les termes cinglants de Mushobekwa – la crédibilité de toute initiative d’union nationale repose sur son inclusivité. Le rejet quasi unanime de cette proposition par l’opposition illustre la méfiance persistante envers les stratégies politiques verticales. Alors que la RDC traverse une période critique, la balle est désormais dans le camp du pouvoir : saura-t-il transformer ce concept controversé en véritable plateforme de cohésion, ou ce « camp patrie » restera-t-il un épiphénomène dans l’impasse des dialogues avortés ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
