Dans les collines escarpées de Kalehe, au Sud-Kivu, des milliers de mains tendues reçoivent aujourd’hui un répit. « Nous dormions à même le sol, le vent nous transperçait. Avec ces couvertures et ces nattes, les enfants pourront enfin avoir moins froid », confie Mama Espérance, mère de cinq enfants, déplacée depuis les affrontements entre les FARDC et le M23. Comme elle, 5 880 ménages, ballotés entre conflits armés et catastrophes naturelles, viennent de recevoir une assistance du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Une lueur d’espoir dans une région où la survie se compte en jours.
Des sacs de farine de maïs empilés avec précision, des seaux en plastique alignés comme des soldats en ordre de marche : la distribution organisée par le CICR dans les camps de Lwako, Muhongoza et Nyabibwe ressemble à une course contre la montre. Chaque kit alimentaire – 25 kg de farine, 12,5 kg de haricots, 5 litres d’huile – représente trois semaines de repas assurés. « Ces vivres, c’est notre bouclier contre la faim », lance un ancien cultivateur de Bushushu, les yeux rivés sur son seau neuf.
Mais derrière l’urgence humanitaire se profile un drame en deux actes. D’un côté, les déplacés de la catastrophe de Bushushu et Nyamukubi, où des glissements de terrain avaient enseveli des villages entiers en mai 2023. De l’autre, ceux fuyant les combats récurrents entre l’armée congolaise et le M23. « Quand les obus ont commencé à tomber près de notre champ, nous avons couru avec seulement les vêtements sur le dos », raconte un adolescent aux pieds nus, serrant contre lui les trois barres de savon reçues.
Le CICR insiste sur le caractère « vital » de cette aide : les 3 couvertures par famille doivent affronter les nuits froides des hauts plateaux, les casseroles remplacer les marmites abandonnées dans la fuite. Pourtant, une question persiste : jusqu’à quand ces distributions palliatives suffiront-elles à colmater les brèches d’une crise systémique ?
Les chiffres donnent le vertige. Le territoire de Kalehe compte officiellement plus de 120 000 déplacés internes selon le HCR. Les trois camps aidés n’en abritent qu’une fraction. « Nous priorisons les plus vulnérables : femmes enceintes, ménages dirigés par des enfants, survivants de violences », précise un responsable du CICR sous couvert d’anonymat. Une goutte d’eau dans un océan de besoins ?
La réponse humanitaire bute sur une réalité implacable : l’enchevêtrement des crises. À Bushushu, ce sont les pluies diluviennes qui ont tout emporté. À 50 km de là, près de Bunagana, ce sont les combats FARDC-M23 qui continuent de jeter sur les routes des familles épuisées. Le CICR, présent depuis 1978 en RDC, doit constamment réajuster ses interventions. « Notre défi ? Anticiper les nouveaux déplacements tout en évitant la dépendance à l’aide », explique un logisticien sur le terrain.
Les bénéficiares, eux, partagent une angoisse commune : l’après-distribution. « Ces haricots vont finir, les casseroles s’user. Et si les combats reprennent ? », s’interroge un père de famille devant sa bâche neuve. Une inquiétude qui renvoie aux racines du mal : l’instabilité chronique du Grand Kivu. Alors que Kinshasa et la communauté internationale focalisent sur les élections, les déplacés de Kalehe rappellent une vérité crue : sans paix durable, l’humanitaire ne sera qu’un sparadrap sur une fracture béante.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
