« J’ai passé deux ans à conduire ma moto-taxi sans permis. Chaque contrôle de police était une angoisse. » Jonas, 25 ans, les mains crispées sur son guidon, résume le quotidien de milliers de jeunes Congolais. Comme lui, beaucoup ont accueilli avec soulagement l’annonce du moratoire sur les permis de conduire, prolongé jusqu’au 30 juin 2025 par le ministère des Transports. Mais derrière cet espoir de régularisation se cachent des défis de taille : comment éviter que cette mesure ne devienne un leurre administratif de plus ?
Signé le 4 mars dernier, ce moratoire vise officiellement à « faciliter l’accès légal à la route » pour tous les citoyens de plus de 18 ans. Un chiffre symbolique dans un pays où, selon une étude récente de la CONADEP, près de 60% des conducteurs de motos-taxi opèrent sans document valide. « C’est une bouffée d’oxygène pour l’économie informelle », analyse le sociologue urbain Didier Mbala. « Mais à quel prix ? La course contre la montre est lancée : il reste moins d’un an pour former, contrôler et régulariser des centaines de milliers de personnes. »
Le ministère insiste sur un point crucial : seuls les centres agréés par la CONADEP peuvent délivrer les précieux sésames. Une précision qui sonne comme un avertissement face à un marché parallèle florissant. À Matadi Kibala, un quartier populaire de Kinshasa, des « agences » fantômes proposaient encore la semaine dernière des permis « express » contre 150 $. « Ces pratiques minent nos efforts », déplore Anny Kanda, porte-parole du ministère. « Nous travaillons avec la police pour traquer ces réseaux. »
Mais sur le terrain, les ambiguïtés persistent. Rosalie, vendeuse ambulante de 32 ans, témoigne : « J’ai payé 80 $ dans un bureau officiel, mais on m’a juste donné un reçu. Quand est-ce que j’aurai mon vrai permis ? » Une question qui révèle les failles d’un système encore en rodage. La CONADEP affirme avoir modernisé 15 centres sur les 45 prévus, mais dans plusieurs provinces, les retard s’accumulent.
Cette mesure phare du gouvernement s’inscrit dans un contexte plus large de modernisation des transports. Après le scandale des permis falsifiés impliquant des hauts fonctionnaires en 2022, les autorités tentent de restaurer leur crédibilité. « C’est un pari risqué », estime Me Paulin Senga, avocat spécialisé en droit des transports. « Si d’ici juin 2025, des milliers de permis délivrés dans l’urgence présentent des irrégularités, ce sera un désastre juridique et sécuritaire. »
Les enjeux dépassent la simple régularisation administrative. Pour des milliers de jeunes comme Jonas, obtenir ce permis signifie sortir de la précarité. « Avec ce papier, je pourrai enfin louer un taxi légal, peut-être avoir un crédit… », espère-t-il. Une lueur d’espoir qui cache mal une réalité troublante : dans un pays où seulement 12% des routes sont asphaltées, quel impact réel aura ce moratoire sur la sécurité routière ?
Alors que le compte à rebours est lancé, la RDC se trouve à un carrefour. Entre régularisation massive et risque de bureaucratie paralysante, entre inclusion sociale et maintien de l’ordre routier, le chemin vers des transports plus sécurisés et équitables semble semé d’embûches. Une certitude demeure : sans un contrôle strict des centres agréés et une sensibilisation accrue des usagers, cette mesure ambitieuse pourrait se heurter à la dure réalité des pratiques quotidiennes.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net