« Nous avons dormi à la belle étoile, transis de froid et la peur au ventre. Notre camion était couché dans la boue comme un animal épuisé. » Le récit d’Ambroise, chauffeur de poids lourd, résume le calvaire vécu depuis deux semaines par des centaines d’usagers sur l’axe vital Beni-Butembo. La reprise timide de la circulation, jeudi, ne masque pas la réalité d’une route au bord de l’asphyxie, où chaque averse peut tout refermer.
Long de 54 kilomètres, cet axe économique majeur du Nord-Kivu est devenu un long ruban de bourbiers, coupant littéralement la respiration d’une région entière. À Kalunguta, Maboya ou Kisalala, les véhicules s’enlisent, se renversent, abandonnés par dizaines. Seules les petites voitures et les motos parviennent encore à se faufiler, dans un slalom périlleux entre les ornières profondes et les épaves de camions. Comment une artère aussi cruciale peut-elle se transformer en piège à ciel ouvert en à peine quelques jours de pluie ?
Les conséquences sont immédiates et brutales pour l’économie locale. « Nous déplorons des pertes énormes », confie un commerçant de Butembo, la voix chargée d’amertume. Les denrées périssables pourrissent dans des remorques immobiles, les prix des marchandises qui parviennent à passer s’envolent, et le marché local est paralysé. Cette rupture du flux commercial isole les communautés, accentuant une précarité déjà bien installée dans cette région en proie à des défis sécuritaires multiples.
Au-delà des pertes matérielles, c’est la sécurité physique des voyageurs qui est mise en péril. Contraints de passer la nuit sur place après un renversement ou un embourbement, ils sont exposés sans protection aux intempéries et, plus grave encore, à la menace des groupes armés qui rôdent dans la zone. Cette route n’est pas seulement défoncée ; elle est devenue un couloir de vulnérabilité.
Face à cette situation critique, les équipes de la compagnie Dott Services, mandatée pour l’entretien, et celles de l’Office des Routes sont sur le pont. Leurs interventions se concentrent sur le dégagement des camions renversés, comme celui qui bloquait le passage à Kisalala. Mais leur tâche semble titanesque. Comme le souligne un conducteur sur place, le travail des ingénieurs ougandais de Dott Services à Kalunguta peine à contenir les dégâts : « Une petite pluie supplémentaire bloquerait tout à nouveau. » Les efforts déployés ressemblent à une course contre la montre et contre les éléments, sur un terrain déjà extrêmement dégradé.
Cette crise met en lumière une problématique structurelle récurrente. L’état de la route Beni-Butembo pose une question fondamentale sur l’entretien et la résilience des infrastructures dans le Nord-Kivu. Les pluies, bien que fortes, ne sont-elles pas un phénomène annuel prévisible ? Le passage répété des poids lourds sur une chaussée fragile nécessite un plan de maintenance bien plus robuste et proactif. La dépendance à un unique axe en cas de blocage révèle une fragilité dangereuse pour toute la sous-région.
Derrière les bourbiers de Kalunguta et les embouteillages de Maboya, c’est la question du désenclavement et du développement qui se pose avec acuité. Une route praticable, c’est l’accès aux soins, à l’éducation, aux marchés. C’est la condition sine qua non pour apaiser une région en crise. Aujourd’hui, les populations du Nord-Kivu, entre résilience et exaspération, attendent plus qu’un déblaiement d’urgence. Elles aspirent à des solutions durables qui transformeront enfin ce chemin de croix en une véritable voie de passage et de prospérité. La route Beni-Butembo, miroir des défis congolais, attend sa réhabilitation complète.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
