L’odeur âcre des ordures en décomposition se mêle à celle de l’essence. Sous un soleil de plomb, des monticules de détritus – sachets plastiques, bouteilles vides, résidus alimentaires – encerclent les minibus et taxis garés en désordre. Ce n’est pas une décharge, mais le parking de la place de la Gare, l’un des principaux points de transit de Lubumbashi. Ici, comme dans de nombreux autres points de stationnement informels de la ville, la propreté est un lointain souvenir. « Nous travaillons ici toute la journée, mais respirer cet air est un calvaire », témoigne Jean, un vendeur ambulant qui écoule ses cigarettes à quelques mètres des véhicules. « Les chauffeurs jettent tout par terre. Après, ils se plaignent que la mairie ne fait rien. Mais qui salit ? »
Face à cette insalubrité qui gangrène l’espace public et l’image de la capitale du Katanga, la maire Joyce Tunda Kazadi a décidé de frapper un grand coup. Lors d’une réunion tenue ce 17 décembre 2025 avec les représentants des principales associations de chauffeurs de transport en commun, l’édile a lancé un appel, teinté d’ultimatum, pour un grand assainissement urbain. L’objectif est clair : transformer ces zones de non-droit en parkings organisés et propres. « La ville ne peut plus être prise en otage par l’incurie et le laisser-aller », aurait-elle asséné, selon des participants. Le message est sans équivoque : la responsabilité de l’état des lieux incombe en premier lieu à ceux qui utilisent ces espaces au quotidien.
Mais pourquoi en est-on arrivé là ? L’analyse collective dessine un cercle vicieux bien connu des Lubumbashiens. La croissance démographique explosive, couplée à une planification urbaine défaillante sur des décennies, a conduit à une prolifération de points de stationnement anarchiques. Les chauffeurs, souvent pressés et fonctionnant à la précarité, n’ont que rarement accès à des infrastructures adaptées avec des poubelles ou un service de ramassage. Les déchets s’accumulent, créant des foyers d’insalubrité qui affectent la santé des riverains et des commerçants. « C’est un problème de gouvernance partagée », analyse un sociologue urbain contacté par nos soins. « La mairie a longtemps manqué de moyens ou de volonté pour réguler. Les associations de transport, de leur côté, ont priorisé la défense des intérêts économiques de leurs membres sur l’entretien de l’espace commun. La population, elle, subit. »
L’intervention de Joyce Tunda Kazadi cherche justement à briser cette logique. Outre le nettoyage, elle a pointé du doigt d’autres pratiques délétères : la hausse arbitraire des tarifs et le stationnement sauvage qui paralyse la circulation. En menaçant de sanctions tout en ouvrant la porte au dialogue, la maire joue un jeu d’équilibre. Peut-on contraindre à la propreté ? Les associations présentes, comme l’Association des Chauffeurs du Congo (ACCO) ou la Mutuelle des Chauffeurs du Congo (MUC), ont promis de sensibiliser leurs troupes. Elles évoquent des « opérations coup de poing » et l’acquisition de tricycles pour évacuer les déchets. Des promesses qui résonnent comme un écho à des engagements passés, rarement tenus sur la durée.
Sur le terrain, le scepticisme est palpable. « Ils vont nettoyer une fois pour la photo, et dans une semaine, ce sera comme avant », prédit Mama Léontine, qui tient un petit restaurant bordant un parking du quartier Kenya. « Il faut de la discipline et un suivi. Et surtout, il faut que nous, les habitants, on arrête aussi de tout jeter n’importe où. » Son propos touche au cœur du défi : l’assainissement urbain est l’affaire de tous. La réussite de cette initiative municipale dépendra de sa capacité à créer une coalition improbable entre autorités, syndicats de chauffeurs et citoyens.
Au-delà de l’enjeu sanitaire et esthétique, c’est la question de la dignité de l’espace public qui est posée. Lubumbashi, ville minière et économique majeure, peut-elle se permettre de présenter un visage aussi négligé à ses habitants et à ses visiteurs ? Les parkings, interfaces entre le transport et la ville, sont le reflet de son fonctionnement. Leur état symbolise un défaut de gestion collective. L’ultimatum de la maire est donc un test. S’il échoue, il renforcera le sentiment d’impuissance face à la dégradation continue. S’il réussit, il pourrait inaugurer une nouvelle culture de la civilité et de la coresponsabilité dans la gestion de la cité.
La balle est désormais dans le camp des chauffeurs et de leurs associations. Vont-ils saisir cette main tendue pour enfin prendre soin des espaces dont ils dépendent ? Ou bien les vieux démons de l’indiscipline et de la recherche du profit immédiat l’emporteront-ils, au détriment de la santé de tous et de l’image de Lubumbashi ? L’appel de Joyce Tunda Kazadi est plus qu’une simple campagne de propreté. C’est un miroir tendu à la société urbaine congolaise, confrontée à ses contradictions et à sa capacité à s’organiser pour le bien commun. Dans les prochaines semaines, l’état des parkings dira lequel de ces deux visages de la RDC – celui du chaos ou celui de l’ordre négocié – prend le dessus dans les rues de la capitale du cuivre.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: https://acp.cd/province/lubumbashi-les-associations-de-chauffeurs-de-appelees-a-assainir-leurs-parkings-de-stationnement/
