Dans un geste présenté comme une avancée majeure pour la paix, l’Alliance Fleuve Congo (AFC/M23) a déclaré ce mardi retirer unilatéralement ses forces de la ville d’Uvira, dans l’est de la République démocratique du Congo. Cette décision, selon le communiqué du mouvement, vise à soutenir le processus de paix de Doha, mais elle intervient dans un contexte de pressions internationales croissantes, notamment des États-Unis sur le Rwanda. Le retrait du M23 d’Uvira est ainsi brandi comme une « mesure de confiance », mais les conditions posées et les mises en garde associées révèlent les limites d’une démarche qui semble autant tactique que diplomatique.
L’AFC/M23 précise en effet que ce retrait est conditionné à des garanties de sécurité substantielles. Le mouvement appelle les garants du processus paix Doha à assurer la gestion de la ville, exigeant sa démilitarisation, la protection des civils et des infrastructures, ainsi que le contrôle du cessez-le-feu par le déploiement d’une force neutre. Cette position, si elle paraît raisonnable sur le papier, soulève des questions pratiques : qui fournira cette force neutre ? Comment éviter les violations dans une zone où les alliances sont fluctuantes ? L’Alliance Fleuve Congo met en garde contre toute tentative des Forces armées de la RDC (FARDC), des groupes Wazalendo et de leurs alliés de profiter du retrait pour reprendre des territoires ou cibler des populations perçues comme favorables. Une prudence qui en dit long sur la méfiance persistante entre les belligérants.
Parallèlement, Washington a durci son discours envers Kigali. Le vice-secrétaire d’État américain Christopher Landau a qualifié l’offensive récente sur Uvira de « grave erreur », avertissant que « cela ne pourra pas continuer » si le Rwanda « persiste à jouer les mêmes vieux jeux avec le M23 ». De son côté, le secrétaire d’État Marco Rubio a estimé que les actions du Rwanda dans l’est congolais constituaient une violation claire des accords de Washington, affirmant que les États-Unis prendraient des mesures pour en garantir le respect. Ces déclarations, sans ambiguïté, placent le Rwanda dans une position délicate, accusé de soutenir militairement le M23 et de compromettre les engagements pris dans le cadre des accords de paix signés début décembre à Washington entre la RDC et le Rwanda. La relation États-Unis Rwanda RDC se trouve ainsi sous tension, avec des implications directes sur le conflit dans l’est Congo.
Dans ce contexte, l’annonce du retrait du M23 d’Uvira apparaît comme une réponse aux injonctions américaines, mais aussi comme une manœuvre pour repositionner le mouvement sur l’échiquier politique. L’Alliance Fleuve Congo cherche-t-elle véritablement à faciliter le processus paix de Doha, ou s’agit-il d’une tactique pour gagner du temps et consolider ses gains ailleurs ? La question mérite d’être posée, d’autant que le mouvement affirme qu’il n’autorisera pas des groupes armés hostiles au Burundi ou au Congo à utiliser les zones qu’il dit avoir libérées comme bases arrière. Cette précision vise probablement à rassurer les voisins régionaux, mais elle illustre la complexité des équilibres dans le conflit de l’est Congo, où chaque acteur avance ses pions avec une rationalité souvent obscure.
Les implications de ce retrait conditionné sont multiples. Sur le plan interne congolais, il pourrait, si les garanties sont respectées, apaiser les tensions à Uvira et permettre une reprise des activités civiles. Cependant, le risque de reprise des hostilités reste élevé, compte tenu des antécédents de violations de cessez-le-feu. Pour le processus de paix de Doha, cette mesure pourrait être interprétée comme un signe positif, mais elle ne suffira pas à elle seule à garantir une résolution durable. Les États-Unis, en durcissant le ton contre le Rwanda, semblent vouloir exercer un levier de pression supplémentaire, mais jusqu’où iront-ils pour imposer le respect des accords ? La dynamique États-Unis Rwanda RDC est ici un catalyseur potentiel, mais aussi un facteur d’incertitude dans une région où les jeux d’influence se superposent aux luttes locales.
En conclusion, le retrait annoncé par l’AFC/M23 d’Uvira est un pas en avant fragile, miné par des conditions strictes et un contexte de défiance mutuelle. Le processus paix de Doha, souvent critiqué pour son manque d’efficacité, pourrait y trouver un souffle nouveau, mais à condition que les acteurs régionaux, notamment le Rwanda, jouent le jeu de la transparence. Les prochains jours seront cruciaux pour observer si les FARDC et leurs alliés respectent les mises en garde, et si la médiation internationale parvient à imposer une force neutre. Dans l’est de la RDC, où les conflits se nourrissent de l’impunité et des ingérences, chaque geste de paix doit être scruté à la loupe, car derrière les déclarations d’intention se cachent souvent des calculs stratégiques moins avouables. La balle est désormais dans le camp des garants internationaux, qui devront transformer cette mesure unilatérale en une avancée tangible pour des populations épuisées par des décennies de violence.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
