La situation sécuritaire dans l’Est de la République Démocratique du Congo a connu une dégradation dramatique avec la prise de la ville stratégique d’Uvira par les forces de la rébellion AFC/M23. Cet événement majeur, intervenu dans un contexte d’intensification des combats dans la plaine de la Ruzizi, a provoqué une onde de choc bien au-delà des frontières provinciales. La réaction du Prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, a été immédiate et sans ambages, pointant du doigt l’inertie de la communauté internationale et africaine face à ce qui est perçu comme une agression extérieure.
Dans une déclaration ferme, le docteur Mukwege a exprimé sa stupeur face au communiqué de la Commission de l’Union africaine. Ce document, publié au lendemain de la chute d’Uvira, s’est contenté d’appeler à la retenue dans la région des Grands Lacs, sans nommer explicitement le Rwanda comme acteur central de la déstabilisation. Pour le lauréat congolais, ce silence est assourdissant. Comment une institution continentale peut-elle éviter de qualifier un État dont les soldats, estimés entre 6000 et 7000 par un rapport d’experts de l’ONU, opèrent sur le territoire souverain d’un autre pays ?
Le conflit au Sud-Kivu prend une dimension régionale alarmante. La prise d’Uvira par le M23 n’est pas un incident isolé, mais le point culminant d’une offensive soigneusement planifiée. Cette ville constituait un verrou essentiel dans le dispositif de défense congolais. Sa chute ouvre désormais la voie à la rébellion vers l’espace stratégique du Grand Katanga, considéré comme le poumon économique de la RDC. Les implications sont colossales, tant sur le plan humanitaire que géopolitique. Des crimes de masse sont rapportés, et des centaines de milliers de civils fuient les combats, créant une crise humanitaire d’une ampleur inédite.
Les condamnations internationales se multiplient, mais restent-elles lettre morte ? La résolution 2773 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, adoptée à l’unanimité en février 2025, exige pourtant un cessez-le-feu immédiat et le retrait inconditionnel de l’armée rwandaise. Le Groupe international de contact pour la région des Grands Lacs a, lui aussi, exhorté le Rwanda et le M23 à mettre fin à leurs opérations offensives. L’ambassadeur des États-Unis à l’ONU a été on ne peut plus clair : le président rwandais contrôle et dirige le M23 ainsi que son bras politique, l’AFC. Face à ces preuves et déclarations, l’absence d’actions concrètes interroge.
Denis Mukwege lance un appel pressant aux leaders africains. Il les somme de montrer l’exemple et de cesser de protéger un régime qui, selon lui, « abuse de son pouvoir avec arrogance » et commet les crimes les plus graves en toute impunité. Son langage est fort, évoquant même les abominations de la traite négrière et de la colonisation pour souligner l’urgence historique de la situation. Pour le défenseur des droits humains, il est temps que l’Union africaine qualifie le Rwanda d’État agresseur, en violation flagrante de sa propre Charte. Le monde peut-il continuer à fermer les yeux ?
Cette escalade survient dans un contexte diplomatique pour le moins paradoxal. Elle coïncide avec l’entérinement des accords de Washington, signés entre Kinshasa et Kigali sous médiation américaine début décembre. Conçus pour apaiser les tensions, ces accords semblent au contraire avoir été le prélude à une intensification des hostilités. Les espoirs de paix s’éloignent, remplacés par des accusations mutuelles et une défiance systémique du régime de Kigali envers le droit international. La communauté internationale se trouve à un carrefour critique.
La prise d’Uvira par le M23 marque donc un tournant décisif dans ce conflit qui ravage l’Est congolais depuis des années. Elle démontre la vulnérabilité de l’État congolais et l’audace croissante d’une rébellion ouvertement soutenue par un voisin. Les mots du Dr Mukwege résonnent comme un cri d’alarme : des condamnations « creuses » ne suffisent plus. Il faut des actions concrètes et significatives pour empêcher une déflagration régionale aux conséquences imprévisibles. La balle est désormais dans le camp des instances de décision continentales et internationales. L’heure n’est plus aux déclarations de principe, mais à l’action coercitive.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: Actualite.cd
