De la fièvre des stades à l’introspection littéraire, le parcours de Youssouf Mulumbu prend une nouvelle dimension, aussi inattendue que captivante. Loin des ovations des tribunes, l’ancien milieu de terrain, qui a brillé sous le maillot du Paris Saint-Germain et en Premier League anglaise, fait désormais résonner une autre voix, celle de l’écrivain. Avec Talo, son premier roman publié aux Éditions Jets d’Encre, il nous transporte bien loin des gazons anglais, au cœur des paysages tourmentés et des secrets enfouis du Kivu, en République démocratique du Congo. Un premier pas littéraire qui est bien plus qu’une simple reconversion; c’est une plongée audacieuse dans les abysses de l’âme humaine et des complexes réalités congolaises.
L’accroche est immédiate, angoissante, presque palpable. Deux enfants disparaissent dans les profondeurs d’une mine, « sans laisser de trace ni d’explication ». Quel phénomène, ou quelle main criminelle, a pu les engloutir ? À partir de ce point de départ haletant, le roman congolais Kivu déploie ses ramifications. L’affaire, d’abord étiquetée comme un tragique accident, se fissure rapidement pour révéler des failles autrement plus inquiétantes. Des « éléments troublants » émergent, suggérant l’ombre portée d’« une réalité plus sombre ». C’est dans ce contexte de brumes et de non-dits qu’Akim, un policier français aux origines non dévoilées, pose le pied sur une terre où chaque parole semble peser le poids d’une menace.
Sa mission d’observation, simple en apparence, se mue rapidement en une enquête labyrinthique où les certitudes s’effritent comme le sable. Youssouf Mulumbu roman construit avec habileté un récit où la quête de vérité se heurte à un mur de « corruption militaire », de « silences forcés » et de « disparitions en chaîne ». Le polar, en apparence classique dans sa structure, bascule alors subtilement vers un territoire plus ambigu. Les témoignages des habitants, recueillis par Akim, font état de « l’existence d’un phénomène que nul ne peut expliquer », un mystère que « certains semblent décidés à garder secret ». Où s’arrête la traque d’un trafic ? Où commence la confrontation à l’inexplicable ? L’ouvrage, tel que présenté par son éditeur, trouble avec une maestria certaine « les frontières entre l’enquête et l’étrange ».
Au-delà du suspense haletant, Talo polar RDC se veut une œuvre à plusieurs étages. L’ancien footballeur écrivain utilise la trame policière comme un révélateur puissant pour ausculter les plaies vives d’une région en proie à des conflits géopolitiques complexes. Il explore sans fard les tensions brutales entre une justice idéale et les manipulations des puissants, tout en donnant une épaisseur humaine aux trajectoires brisées par l’immigration et la violence ordinaire. Un extrait fourni par Jets d’Encre Talo est à cet égard éloquent, mettant en scène un témoin évoquant des réseaux d’immigrés et la mort soudaine de celui qui cherchait des informations : « Je pense que c’était une histoire de trafic… Mais le lendemain, il est sorti acheter une recharge téléphonique, et puis… la police est venue nous annoncer sa mort. » La phrase frappe par son dépouillement et son réalisme glaçant.
Cette incursion dans la fiction semble être pour Mulumbu, né à Kinshasa en 1987, l’aboutissement logique d’un engagement qui a succédé à sa carrière sportive. Après avoir raccroché les crampons, l’homme s’est en effet investi dans des projets de développement en RDC, touchant à l’agriculture, l’éducation et l’entrepreneuriat social. Son roman apparaît alors comme une autre forme d’engagement, plus intime et tout aussi percutant : celle de raconter, de donner une résonance narrative aux drames et aux espoirs de son pays d’origine. Et l’histoire de Talo ne semble pas prête de s’arrêter aux frontières francophones. Sur les réseaux sociaux, Mulumbu a indiqué rechercher un éditeur britannique pour une version anglaise, sollicitée par des lecteurs du Royaume-Uni, notamment des villes où il a évolué comme West Bromwich, Norwich ou Kilmarnock. Le ballon rond avait fait de lui un citoyen du monde ; l’écriture pourrait bien en faire un ambassadeur des lettres congolaises.
Avec ses 134 pages publiées par Jets d’Encre et distribuées par Hachette, Talo est désormais disponible en librairie. Plus qu’un simple divertissement, ce premier roman marque l’émergence d’une voix nouvelle et singulière dans le paysage littéraire. Il pose une question fondamentale, à la fois sociale et métaphysique : que cherche-t-on vraiment lorsque l’on plonge dans les ténèbres, qu’elles soient celles d’une mine africaine ou des secrets les mieux gardés ? En mêlant avec subtilité le frisson du polar à la densité du récit engagé, Youssouf Mulumbu ne signe pas seulement un livre ; il ouvre une porte, inquiétante et fascinante, sur les ombres et les lumières du Congo contemporain.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
