« Nous en avons assez de travailler sans être payés décemment ! » lance Jean*, l’un des agents du Stade des Martyrs, la colère dans la voix. Ce mardi 25 novembre, la colère longtemps contenue a explosé au cœur du plus grand stade de la République Démocratique du Congo. Des dizaines d’agents en charge de l’entretien et de la sécurité de cette enceinte sportive mythique ont décidé de faire entendre leur voix par les moyens les plus radicaux.
La scène était apocalyptique : des pneus en flammes crachaient d’épaisses volutes de fumée noire, tandis que des documents administratifs volaient en éclats. Les travailleurs, excédés par treize années d’attente, ont saccagé les archives de l’administration et dressé des barricades infranchissables. Comment en est-on arrivé à cette situation explosive ? La réponse se trouve dans des arriérés de primes qui s’accumulent depuis plus d’une décennie.
« 60 000 francs congolais, cela peut paraître dérisoire pour certains, mais pour nous, c’est une question de survie », explique Marie*, mère de quatre enfants. Cette somme équivalant à 26 USD par personne représente pourtant des mois de sacrifices, des soins médicaux reportés, des enfants privés de fournitures scolaires. La crise du Stade des Martyrs dépasse le simple cadre professionnel pour toucher à la dignité humaine la plus élémentaire.
La manifestation des agents stade Kinshasa pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le championnat national. En effet, les travailleurs menacent désormais d’empêcher toute activité tant que leur situation ne sera pas résolue. Cette décision met en péril deux rencontres cruciales de la LINAFOOT prévues ce mercredi 26 novembre. Le match entre l’OC Renaissance et l’AS Maniema Union programmé à 13h, suivi de la confrontation entre l’AS Vita Club et les Anges Verts à 15h, pourraient bien être annulés.
Cette situation pose une question fondamentale : comment un pays peut-il prétendre développer son football quand ceux qui en assurent le fonctionnement quotidien vivent dans la précarité la plus totale ? Les arriérés primes stade accumulés depuis treize ans racontent une histoire plus large, celle du sport congolais pris en étau entre les ambitions affichées et les réalités sociales amères.
Les supporteurs, premiers concernés par ces possibles annulations, partagent leur incompréhension. « Nous payons nos places, nous suivons nos équipes avec passion, mais comment pouvons-nous accepter que les travailleurs qui rendent cela possible ne soient pas rémunérés ? » s’interroge David, un fan inconditionnel du Vita Club. Cette crise Stade des Martyrs révèle ainsi les failles d’un système où les acteurs essentiels sont souvent les grands oubliés.
Au-delà des matchs menacés, c’est toute l’organisation du football congolais qui se trouve mise en lumière. Les LINAFOOT matchs annulés pourraient n’être que le début d’une série de perturbations si aucune solution durable n’est trouvée. Les agents, déterminés, affirment qu’ils ne céderont pas tant que leurs revendications légitimes n’auront pas été entendues.
Cette manifestation Stade des Martyrs s’inscrit dans un contexte plus large de tensions sociales autour des conditions de travail dans le secteur sportif congolais. Elle interroge la gestion des infrastructures publiques et la valeur accordée au travail invisible qui permet pourtant le spectacle visible.
Alors que la RDC aspire à se positionner comme une nation sportive de premier plan en Afrique, ces crises récurrentes rappellent que le développement du sport passe nécessairement par le respect de ceux qui en constituent les fondations. Le Stade des Martyrs, lieu symbolique chargé d’histoire, devient aujourd’hui le théâtre d’une autre bataille, celle de la dignité au travail.
La balle est désormais dans le camp des autorités compétentes. Trouveront-elles une solution rapide et équitable ou assisterons-nous à l’annulation des matchs et à l’aggravation de la crise ? L’avenir du championnat et, plus important encore, la dignité de dizaines de familles en dépendent.
*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interviewées
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
