Ils ont parcouru des centaines de kilomètres, bravé les routes difficiles et les tracasseries militaires, nourrissant l’espoir de retrouver enfin ce qui leur revient de droit. À Kisangani, plus de 150 inspecteurs du travail venus du Nord-Kivu vivent un calvaire administratif qui dure depuis plus d’un mois. Leur crime ? Avoir simplement voulu percevoir leurs salaires impayés depuis juillet, août et septembre 2025.
« Nous sommes venus ici avec l’espoir de régulariser notre situation, mais nous nous retrouvons piégés dans une attente interminable », confie l’un d’eux, le regard las. Leur quotidien est devenu une succession de visites vaines à l’agence BOA, des attentes interminables dans les couloirs de la banque, et des nuits d’angoisse dans des chambres d’hôtel bon marché qui grèvent leurs dernières économies.
Comment en est-on arrivé à cette situation absurde où des fonctionnaires doivent quitter leur poste et parcourir des centaines de kilomètres pour réclamer leur dû ? La réponse se trouve dans une décision administrative qui a transféré le paiement de leurs salaires d’Equity BCDC vers la BOA. Kisangani, étant l’agence la plus proche du Nord-Kivu, a été désignée comme point de service. Un choix qui s’est transformé en piège pour ces inspecteurs du travail.
Steve Bigirimana, leur porte-parole, ne cache pas son amertume : « Nous avons rempli toutes les formalités, mais jusqu’à présent, nous n’avons reçu ni numéros de compte, ni salaires. Nous interpellons le vice-Premier ministre de la Fonction publique, le ministre de l’Emploi et du Travail, l’Inspecteur général du travail et son directeur administratif et financier. Qu’ils interviennent pour notre cause ! »
La situation devient de plus en plus critique. Certains inspecteurs, épuisés par cette attente vaine et à bout de ressources, ont déjà pris la décision douloureuse de retourner à Beni, dans leurs milieux d’affectation. D’autres persistent, espérant encore une solution miracle. Mais jusqu’à quand pourront-ils tenir ? Combien de familles, restées au Nord-Kivu, attendent elles aussi ces salaires pour survivre ?
Le gérant de l’agence BOA de Kisangani, quant à lui, reste introuvable, refusant de répondre aux préoccupations légitimes de ces fonctionnaires. Ce silence bancaire en dit long sur le mépris dans lequel sont tenus ces inspecteurs du travail. Pendant ce temps, la crise sociale s’installe, mettant en lumière les dysfonctionnements chroniques de l’administration congolaise.
Ces inspecteurs du travail du Nord-Kivu sont pourtant des agents essentiels au bon fonctionnement de l’État. Leur mission : veiller au respect du droit du travail, protéger les travailleurs, assurer l’équilibre dans les relations professionnelles. Mais comment peuvent-ils remplir efficacement leur mission quand ils sont eux-mêmes victimes d’injustice sociale ?
La question des salaires impayés en RDC n’est malheureusement pas nouvelle, mais elle prend ici une dimension particulière. Ces fonctionnaires délocalisés, contraints à l’exil administratif, symbolisent l’échec d’un système qui ne parvient pas à assurer le minimum à ses agents. Leur calvaire à Kisangani n’est que la partie visible d’un iceberg bien plus large : celui de la précarité généralisée dans la fonction publique congolaise.
Que dire de l’impact sur le terrain au Nord-Kivu ? Pendant que ces inspecteurs du travail patientent à Kisangani, qui s’occupe de leurs missions dans leurs zones d’affectation ? Les travailleurs de Beni et ses environs se retrouvent-ils privés de protection ? La crise des salaires impayés a ainsi des répercussions qui dépassent largement le cadre individuel pour toucher à l’intérêt général.
Au-delà de l’urgence humanitaire que représente cette situation pour les inspecteurs concernés, c’est toute la crédibilité de l’État qui est en jeu. Comment peut-on exiger des fonctionnaires qu’ils servent loyalement l’administration quand celle-ci ne respecte pas ses engagements les plus élémentaires ? La banque BOA, partenaire de l’État dans ce processus, se doit également d’assumer ses responsabilités.
La solution passe nécessairement par une intervention rapide des autorités compétentes. Mais elle exige aussi une réflexion plus profonde sur le système de paiement des salaires dans la fonction publique. Les inspecteurs du travail du Nord-Kivu, par leur combat, posent une question fondamentale : jusqu’à quand l’État congolais continuera-t-il à faire attendre ceux qui le servent ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net