Dans les rues défoncées de Bunia, chaque vrombissement de moteur raconte une histoire de résistance. Les motocyclistes de cette ville de l’Ituri mènent un combat quotidien contre une triple adversité qui menace leur gagne-pain et, par extension, la mobilité de toute une région.
« Quand la pluie tombe, nos épreuves commencent », confie Bahati Mugavu, les mains encore couvertes de boue séchée. Ce conducteur de taxi-moto depuis six ans doit composer avec des routes qui se transforment en véritables pièges. « Les nids-de-poule deviennent des ravins, les flaques d’eau des lacs. Comment voulez-vous que nous travaillions dans ces conditions ? »
La question résonne comme un cri du cœur dans cette province où le taxi-moto s’est imposé comme l’artère vitale des déplacements. Que ce soit pour rejoindre les centres urbains ou desservir les zones rurales enclavées, ces deux-roues représentent souvent le seul lien avec le monde extérieur.
Mais au-delà des infrastructures défaillantes, les motocyclistes doivent affronter un autre fléau : les tracasseries administratives. « Entre les taxes municipales, les contrôles de police et les multiples autorisations, on passe plus de temps dans les bureaux que sur nos motos », déplore Pierro Langalanga, diplômé d’État contraint à cette activité pour survivre.
Ce père de trois enfants, qui conduit depuis près de vingt ans, voit dans son volant non pas un simple guidon, mais le seul moyen de maintenir sa famille à flot. « Les revenus restent modestes, parfois à peine de quoi nourrir les miens, mais c’est mieux que l’oisiveté. »
La menace la plus sournoise reste pourtant l’insécurité persistante. « Il fut un temps où nous pouvions rallier les villages voisins sans crainte », se souvient Bahati. Aujourd’hui, l’activisme des groupes armés a redessiné la carte des possibles, rendant certaines routes de l’Ituri de véritables coupe-gorge.
Pourtant, malgré ces obstacles, les motocyclistes continuent d’assurer des missions essentielles. Dans les villages isolés, ils deviennent tour à tour ambulanciers improvisés, transporteurs de denrées vitales, et parfois même corbillards de fortune. « Quand un malade doit rejoindre l’hôpital ou qu’un défunt doit être ramené à sa famille, nous sommes souvent les seuls à pouvoir le faire », explique Fiston Kwezi, habitant de Bunia.
Face à cette réalité, la société civile commence à s’organiser. Des voix s’élèvent pour réclamer un meilleur encadrement du secteur, une sécurisation des axes routiers et une simplification des procédures administratives. Car derrière chaque casque se cache une famille qui dépend de cette activité précaire.
Les défis des transporteurs à deux roues à Bunia ne sont-ils pas le miroir des difficultés plus larges que traverse toute la région ? Entre routes impraticables, insécurité grandissante et bureaucratie étouffante, comment espérer un développement économique durable ?
La réponse se trouve peut-être dans la reconnaissance de ces acteurs de l’ombre, ces motocyclistes qui, jour après jour, maintiennent le lien social dans une province meurtrie. Leur combat dépasse largement la simple question du transport : il interroge notre capacité collective à reconstruire sur des bases solides.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net