Dans une manœuvre qui ébranle les fondements traditionnels du Grand Kivu, la rébellion du M23 opère un remplacement systématique des autorités coutumières légitimes dans les territoires occupés du Nord-Kivu. Cette stratégie de déstructuration du pouvoir traditionnel risque-t-elle de provoquer une implosion définitive de la cohésion sociale dans la région ?
Les chefs coutumiers, gardiens séculaires de l’ordre traditionnel, sonnent l’alarme face à ce qui s’apparente à une entreprise de démantèlement orchestrée de leur autorité. Le processus de paix en cours dans le Grand Kivu se trouve confronté à un nouveau défi de taille : la substitution forcée des figures traditionnelles par des affidés du mouvement rebelle.
Selon nos investigations, les territoires de Masisi, Rutshuru et Nyiragongo subissent une recomposition autoritaire inquiétante. Les chefs légitimes, contraints à l’exil par les violences persistantes, voient leurs positions usurpées par des proches du M23 ou par des adversaires coutumiers soigneusement choisis. Cette ingérence dans les affaires traditionnelles constitue une violation flagrante des usages et coutumes qui régissent ces communautés depuis des générations.
Le cas de la chefferie de Bashali illustre parfaitement cette dérive préoccupante. Roger Bashali, autorité légitime reconnue, a été arbitrairement remplacé par son propre cousin, avec lequel il entretenait un contentieux devant les instances coutumières compétentes. Cette substitution unilatérale dénote une volonté délibérée de saper l’autorité traditionnelle établie.
Plus grave encore, le M23 procède à une redécoupage territorial aux implications profondes. La transformation d’entités coutumières en cités administratives – Sake, Ngungu, Rubaya et Bweremana – modifie substantiellement l’organisation spatiale et sociale de la région. Cette reconfiguration forcée des territoires traditionnels vise-elle à consolider l’emprise de la rébellion sur ces zones stratégiques ?
À Nyiragongo, le bilan est particulièrement éloquent : cinq chefs de groupements sur sept ont été démis de leurs fonctions et remplacés par des personnalités alignées sur les intérêts du mouvement insurgé. Les Mwami Lebon Bigaruka Bakungu et Jean-Baptiste Ndeze Katurebe, figures respectées de Bukumu et Rutshuru, ont été purement et simplement évincés au profit de leurs opposants coutumiers.
Cette politique de remplacement massif des autorités traditionnelles soulève des questions cruciales sur la stratégie réelle du M23. Cherche-t-on à instrumentaliser le pouvoir coutumier pour assoir une légitimité factice ? Ou s’agit-il d’une tentative délibérée de fragiliser les structures traditionnelles pour mieux imposer un nouvel ordre politique ?
Les notables et acteurs locaux interpellent le gouvernement central pour une intervention urgente. La question du respect de l’autorité coutumière doit impérativement figurer parmi les priorités des pourparlers de paix en cours. Sans une solution rapide à cette crise de légitimité traditionnelle, c’est l’ensemble du processus de pacification du Grand Kivu qui risque de compromettre.
La communauté internationale se trouve face à un nouveau dilemme : jusqu’où tolérer ces manipulations des structures traditionnelles au nom d’un processus de paix fragile ? La réponse à cette question déterminera largement l’avenir de la cohésion sociale dans l’est de la République Démocratique du Congo.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net