Le robinet sec, la peur au ventre. Dans les quartiers Latin, Mwangaza et Congo ya Sika de Kasindi-Lubiriha, à 80 km de Beni, des familles scrutent chaque matin leurs récipients vides avec l’angoisse grandissante de voir resurgir les fantômes du choléra et d’Ebola. « Puisque plusieurs tuyaux sont endommagés […] Kasindi-Lubiriha risque encore de connaître une pénurie d’eau potable », alerte Paul Zaidi, premier rapporteur de la société civile locale, la voix nouée par l’urgence. Une crise provoquée par les travaux de nivelage des routes qui ont mutilé le réseau hydraulique de cette cité frontalière du Nord-Kivu, laissant des milliers de personnes sans accès à l’eau salubre.
Comment une opération d’entretien routier a-t-elle pu plonger toute une communauté dans le péril sanitaire ? Les pelleteuses de l’entreprise Action pour le Développement Rural, chargée des travaux, ont creusé plus profond que prévisible, sectionnant les conduites vitales qui alimentent ces quartiers populaires. Les habitants, contraints de parcourir des kilomètres pour trouver une source alternative, se retrouvent face à un choix cornélien : dépenser le peu qu’ils ont pour acheter de l’eau ou se rabattre sur les eaux troubles de la rivière Lubiriha. « Mon enfant de cinq ans a déjà des diarrhées sanglantes », confie une mère rencontrée près du point d’eau improvisé de Latin, son seau à moitié rempli d’un liquide brunâtre.
La mémoire collective tremble devant ce scénario catastrophe. Kasindi, zone post-choléra, post-COVID-19 et post-Ebola, connaît trop bien le prix payé lors des précédentes épidémies. Les maladies hydriques comme la typhoïde ou la dysenterie guettent une population affaiblie par des années de conflits. « C’est un cocktail explosif : la saison des pluies approche, les déplacements internes augmentent, et maintenant cette pénurie d’eau potable », déplore un agent de santé sous couvert d’anonymat, évoquant les risques de crise sanitaire généralisée dans la région de Beni.
Face à l’urgence, la société civile presse les autorités et l’entreprise responsable d’agir dans un tempo d’urgence. Une solution immédiate émerge : la fourniture d’une cartographie précise du réseau hydraulique aux ingénieurs routiers pour prévenir d’autres dommages. « L’Association des consommateurs d’eau potable doit collaborer sans délai », insiste Paul Zaidi, martelant que chaque heure perdue rapproche la communauté du point de non-retour. Au bureau du délégué du gouverneur, on assure que des « discussions sont en cours » pour réhabiliter les conduites endommagées. Mais sur le terrain, les habitants, sceptiques, pointent du doigt le silence des responsables locaux et l’absence de citernes d’urgence.
Cette pénurie d’eau à Kasindi révèle une fracture plus profonde : l’extrême vulnérabilité des infrastructures dans l’Est congolais. Comment des travaux routiers élémentaires peuvent-ils paralyser l’accès à une ressource vitale ? La réponse tangue entre négligence coupable et sous-investissement chronique. Alors que le Nord-Kivu traverse une période sécuritaire volatile, cette crise de l’eau agit comme un révélateur des priorités bafouées. Quand des tuyaux éventrés menacent de réveiller Ebola, ne devrait-il pas y avoir une mobilisation générale ? La rivière Lubiriha, dernier recours des démunis, charrie désormais autant de bactéries que de désespoir.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
