Le cri du cœur de Sylvie, vendeuse au marché Matadi Kibala, résonne comme un avertissement glaçant : « Ici, chaque jour est une roulette russe. Mais où aller ? Le marché est trop petit et quand la pluie tombe, les clients fuient cet enfer insalubre ». Comme des centaines d’autres commerçants de la route nationale numéro 1 (RN1) dans la commune de Mont Ngafula à Kinshasa, Sylvie vit un dilemme cornélien : risquer sa vie sur le bitume ou sombrer dans la précarité.
L’opération « Kanga vendeurs » lancée ce lundi par Danny Kwete, administrateur du marché Camp PM, ne laisse plus de place à l’improvisation. Après le drame qui a coûté la vie à six personnes, dont plusieurs vendeurs écrasés sur la chaussée, les autorités passent à l’offensive. La première phase de sensibilisation vise à convaincre les commerçants de déserter la voie publique pour rejoindre l’intérieur du marché. Mais derrière cette mesure de sécurité routière urgente à Mont Ngafula, se cache une réalité économique implacable.
« Comment survivre à l’intérieur ? », interroge Ma Mungala, les mains tremblantes sur son étal de tomates. Son témoignage illustre le cercle vicieux : « Ce tas acheté 1000 francs se vend 5000 francs en bord de route. Dans le marché, je ne ferais même pas 2000 francs. La faim ou la mort ? Le choix est cruel ». Ces vendeurs de la RN1 à Kinshasa, souvent soutiens de famille, défient le danger par nécessité. Combien de drames faudra-t-il encore avant une solution pérenne ?
Lors des réunions de sensibilisation, les doléances fusent : espace exigu, insalubrité chronique, toitures défaillantes pendant la saison des pluies. « Nous ne sommes pas contre notre sécurité, mais le marché actuel nous étouffe », explique un représentant des commerçants. L’administration promet pourtant qu’après cette phase d’avertissement, l’opération de déguerpissement des vendeurs sera implacable. Une décision justifiée par l’urgence de protéger des vies, mais qui risque de précipiter des familles dans le chaos économique.
En toile de fond, le bourgmestre de Mont-Ngafula évoque des projets de marchés modernes. Mais les commerçants restent sceptiques : « On nous promet des lendemains qui chantent depuis des années, tandis qu’aujourd’hui, on nous chasse sans alternative viable ». Cet accident tragique au marché Matadi Kibala révèle une faille béante dans l’aménagement urbain de Kinshasa. La sécurisation des axes comme la RN1 passe-t-elle forcément par la précarisation des plus vulnérables ?
L’opération Kanga vendeurs pose un défi sociétal crucial : comment concilier sécurité routière et droit au travail décent ? Alors que le déguerpissement se profile, la colère monte parmi ces résilients de l’informel. Leur calvaire quotidien interroge la capacité des autorités à transformer les promesses en réalités tangibles. Sans infrastructures adaptées et assainissement urgent, la tragédie de Matadi Kibala pourrait n’être qu’un prélude.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net