Soixante-cinq ans après l’indépendance, la République démocratique du Congo demeure prisonnière d’un paradoxe énergétique criant. Alors que son potentiel de production électrique est estimé à 100 000 mégawatts – de quoi alimenter plusieurs nations africaines –, à peine 21% de la population congolaise bénéficie d’un accès électricité Congo. Cette réalité place 80 millions de citoyens dans l’obscurité, soit 13% du total africain privé de courant, selon les dernières données.
Le déficit énergétique RDC, chiffré à 2 500 MW, constitue un frein structurel au développement. Chaque mégawatt non produit représente une perte économique estimée à 20 millions de dollars par le ministère de l’Énergie. Combler ce déficit permettrait théoriquement de doubler le PIB national actuel de 70 milliards de dollars. Pourtant, le pays continue d’importer de l’électricité pour ses industries minières, une aberration pour une nation disposant du site d’Inga, dont le potentiel Inga RDC concentre à lui seul 40 000 MW.
L’analyse des causes révèle une défaillance systémique. Depuis 1989, seuls deux barrages publics ont été construits, tandis que la population triplait. La libéralisation du secteur en 2014 n’a généré que 500 MW supplémentaires, faute de cadre incitatif clair. L’Agence nationale pour l’électrification des zones rurales (ANSER), lancée en 2020 avec l’objectif de 744 MW, n’en a livré que 38 en cinq ans – symptôme d’une impolitique chronique.
Les conséquences économiques sont tangibles : les ménages congolais dépensent 4 milliards de dollars annuels en charbon de bois (makala), représentant 67% de la facture énergétique nationale. Cette dépendance au bois combustible alimente une déforestation accélérée dans le bassin du Congo, deuxième poumon vert de la planète. À l’inverse, la Société nationale d’électricité (SNEL) ne génère que 1,2 milliard de revenus, selon Fabrice Lusinde, son directeur général.
La crise électrique Kinshasa symbolise cette contradiction. Dans la capitale comme en milieu rural, l’absence de courant structure une économie énergétique Congo de survie : salles d’accouchement éclairées à la lampe torche, usines fonctionnant à un quart de leur capacité, étudiants préparant les examens à la lueur des bougies. Comment expliquer qu’un pays regorgeant de ressources hydrauliques, solaires et éoliennes en soit réduit à cette précarité énergétique ?
L’obsession pour le projet pharaonique du Grand Inga, chroniquement retardé et dépendant de capitaux étrangers, a occulté les solutions décentralisées. L’Atlas national des énergies renouvelables recense pourtant plus de 700 sites propices aux microcentrales hydroélectriques – alternatives réalistes pour une électrification rurale accélérée. Investir 10% du budget actuellement englouti dans le makala permettrait de financer un maillage territorial de petites unités de production.
L’urgence est triple : économique, sociale et environnementale. Sans révolution énergétique, la RDC ne pourra atteindre l’Objectif de développement durable n°7 sur l’accès universel à l’électricité avant 2050. Pourtant, chaque point de pourcentage gagné en taux d’électrification générerait une croissance additionnelle de 0,3% du PIB, selon la Banque africaine de développement. La lumière n’est plus une question de confort, mais le socle indispensable pour bâtir une économie diversifiée et inclusive.
Article Ecrit par Amissi G
Source: Actualite.cd