La terre sacrée des défunts se transforme en champ de pillage sous nos yeux. À Goma, le cimetière de l’ITIG offre un spectacle de désolation : des croix brisées gisent entre les herbes folles, des carreaux arrachés laissent apparaître des fosses béantes, et des ossements dispersés témoignent d’un sacrilège devenu banal. « C’est un acte de barbarie et de mépris envers les morts », souffle John Munguiko, responsable de la garde des lieux, la voix nouée par l’indignation. Comment en est-on arrivé à ce niveau de profanation des tombes à Goma, où même le repos éternel n’est plus respecté ?
Chaque nuit, des bandes de jeunes issus des quartiers de Kahembe et Kabutubembo investissent les lieux. Leur cible ? Tout matériau revendable : ferrailles des caveaux, bois des croix, carreaux des sépultures. « Ils attachent les fers à béton pour les vendre aux ferrailleurs, et les planches alimentent les fabricants de boisson locale », dénonce Munguiko. Le rutuku, cette alcool de rue, se brasse désormais avec le bois volé des cercueils. Un trafic illégal de cimetières bien organisé, selon le gardien, qui évoque des complicités troublantes : « On ignore où ces matériaux sont écoulés, mais ce commerce suppose des réseaux ».
Pire encore, une spoliation systématique s’organise à ciel ouvert. Au cimetière Joli Bois, des maisons poussent sur des tombes à peine refroidies. Des parcelles sont illégalement vendues pour devenir potagers ou terrains à bâtir. « Certaines autorités administratives violent elles-mêmes la loi en participant à ce commerce », accuse Munguiko, pointant du doigt un scandale qui dépasse le simple vandalisme. Le gardien lance un appel urgent : « Que la mairie démolisse ces constructions à Gabiro ! Que la justice poursuive ces profanateurs ! ».
Cette situation prend une dimension particulièrement amère quand on sait que la RDC célèbre chaque 1er août le Respect des Défunts. Un cruel paradoxe dans une ville où des cimetières historiques sont détruits après seulement deux ans d’utilisation, alors que la loi exige cinquante ans avant toute désaffectation. En mars 2024, le gouverneur Chirimwami avait pourtant interdit par arrêté toute activité sur ces lieux sacrés, annulant une décision controversée de son prédécesseur. Mais sur le terrain, les cimetières désacralisés du Nord-Kivu continuent de subir les assauts des pilleurs.
Derrière ce vandalisme des cimetières en RDC se cache une triple tragédie : sociale d’abord, avec ces jeunes désœuvrés réduits à piller les morts pour survivre ; économique ensuite, par ce trafic de matériaux qui prospère dans l’ombre ; mais surtout morale. Que devient une société qui ne protège plus ses ancêtres ? Les familles endeuillées de Goma attendent plus que des arrêtés : elles réclament la dignité pour leurs disparus et le respect du dernier rempart entre les vivants et l’oubli.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd