Le visage creusé par l’inquiétude, Marie* serre contre elle le dernier pagne ayant appartenu à son fils. « Ils ont emmené mon mari et mes deux aînés dans un autre camp, sans explication. Depuis trois mois, je ne sais même pas s’ils mangent à leur faim », confie cette mère originaire de Kamanyola, voix brisée par l’épuisement. Comme des centaines d’autres réfugiés congolais au Burundi, sa famille a été disloquée par une décision administrative après leur transfert forcé du site de Binyange vers Rugombo.
Une situation intolérable dénoncée mercredi par le député provincial du Sud-Kivu, Mugisho Birhenjira. Cet élu du territoire de Walungu tire la sonnette d’alarme sur une crise humanitaire Sud-Kivu qui s’exporte au-delà des frontières : « Au-delà de cette rupture familiale, ces réfugiés n’ont pas accès aux services sociaux de base et sont privés de tout moyen de subsistance ». L’eau potable se fait rare, les dispensaires manquent de médicaments et les rations alimentaires ressemblent à un mirage. Comment survivre lorsque tout vous est arraché, jusqu’à vos proches ?
La précarité à Kamanyola qui les avait poussés à fuir les violences n’a fait que muter en une autre forme de désespoir. À Rugombo, les enfants errent pieds nus entre les baraquements de fortune, tandis que des adultes échangent leurs dernières possessions contre du maïs. « Nous avons fui la guerre, pas pour devenir des mendiants », lance un ancien cultivateur, les mains tremblantes. Cette déchéance programmée creuse chaque jour un peu plus les plaies psychologiques.
Le député Birhenjira insiste sur l’urgence invisible : « Cette situation entraîne des signes de traumatisme chez les réfugiés RDC. Insomnies, crises d’angoisse, états dépressifs… Leur santé mentale est en péril ». Des travailleurs sociaux évoquent des cas de mutisme chez des enfants séparés de leurs parents, et des tentatives de suicide parmi les plus âgés. Quand l’exil devient une double peine, quelle réponse la communauté internationale compte-t-elle apporter ?
Derrière cette détresse individuelle se profile un échec collectif. Les mécanismes de protection des réfugiés semblent s’être enrayés dans cette région frontalière. Les organisations humanitaires présentes manquent cruellement de moyens face à l’afflux continu de Congolais fuyant l’insécurité dans le Kivu. Cette relocalation de Binyange à Rugombo, présentée comme une solution, a aggravé l’isolement des populations. Comment expliquer qu’on fragilise encore ceux qui ont tout perdu ?
La situation révèle aussi les failles de la coopération transfrontalière. Alors que des milliers de vies sont suspendues à des décisions administratives, le dialogue entre Kinshasa et Bujumbura sur le dossier des réfugiés peine à produire des effets concrets. Mugisho Birhenjira appelle à une médiation urgente : « Il faut rétablir les liens familiaux brisés et garantir un accès minimal à la dignité humaine ».
Ces réfugiés congolais au Burundi incarnent l’oubli programmé des crises régionales. Leur calvaire pose une question fondamentale : jusqu’où peut-on déshumaniser des victimes de conflits avant que leur silence ne devienne assourdissant ? Sans réponse coordonnée, cette bombe à retardement sociale et sanitaire risque d’exploser aux portes d’une région déjà instable.
*Le prénom a été modifié pour protéger son identité
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net