Dans l’âme vibrante de la République Démocratique du Congo, la musique coule tel un fleuve intarissable, charriant avec elle les épopées d’un peuple et les palpitations d’une identité collective. La rumba, le ndombolo et autres rythmes locaux ne sont pas simplement des mélodies, mais des prières laïques, des cartes géographiques sonores où s’inscrit notre mémoire. Pourtant, derrière cette ferveur légitime se cache un paradoxe troublant : le mélomane congolais naviguerait-il dans un océan musical dont il ne maîtriserait pas les courants ?
L’éducation culturelle en RDC apparaît comme le chaînon manquant dans cette symphonie inachevée. Comme le soulignait le professeur Henri Kalama Akulez, directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa, cette éducation « doit participer à la refondation de l’école ». Sans elle, l’appréciation musicale risque de se muer en un langage musical simpliste, une prison dorée où le jazz devient une complainte funèbre et Mozart une curiosité étrangère. Comment expliquer que des oreilles qui s’enflamment aux accents de Werrason ou Koffi Olomide se ferment devant un concerto de Vivaldi ?
La diversité musicale Congo se heurte à un mur d’incompréhension culturelle. Dans les maquis de Kinshasa comme sur les ondes de Radio Pool Malebo, l’omniprésence des rythmes locaux a créé une forme de ghetto auditif. Le constat est amer : lorsque résonnent les premières notes de jazz, certains mélomanes congolais affichent une perplexité voisine du rejet, comme si cette musique était un territoire étranger dont ils n’auraient pas la clé. Cette réaction trahit-elle une limite dans notre lecture des partitions universelles ?
Pourtant, la critique musicale RDC ne saurait se réduire à un procès en inculture. L’attachement viscéral aux rythmes nationaux constitue un acte de résistance culturelle, une manière de brandir son héritage comme un étendard. La musique congolaise, ce « branding » spontané, a forgé des légendes vivantes et irrigué l’économie informelle des villes. Mais cette légitime fierté doit-elle nécessairement s’accompagner d’une fermeture aux autres expressions artistiques ? L’éducation culturelle en RDC pourrait être ce pont jeté entre la préservation des racines et la pollinisation par les influences extérieures.
Le défi est immense : comment transformer le mélomane congolais en explorateur sonore sans qu’il ne perde sa boussole identitaire ? L’apprentissage musical devrait être cette boussole qui permet de naviguer entre les continents musicaux sans se perdre. Imagine-t-on un connaisseur de vin refusant de goûter aux cépages étrangers sous prétexte que son palais est formaté au vignoble local ? La musique, comme le vin, demande une éducation du sensible, une initiation aux subtilités des terroirs sonores.
Dans l’atelier silencieux de cette réflexion, une évidence s’impose : l’ouverture musicale n’est point une trahison, mais un enrichissement. Lorsque le jazz résonne dans une oreille éduquée, il ne couvre pas la rumba ; il dialogue avec elle. L’enjeu dépasse la simple curiosité esthétique : il s’agit de forger des citoyens dont la culture ne soit point une forteresse, mais une place ouverte où se croisent les influences. La critique musicale RDC gagnerait à devenir ce laboratoire où s’expérimentent les métissages audacieux.
Le chemin reste long, semé d’habitudes tenaces et de réflexes identitaires. Mais n’est-ce pas le propre des grandes civilisations musicales que de transformer leur patrimoine en passerelle plutôt qu’en barricade ? À l’heure où le monde rétrécit à la taille d’une playlist numérique, le mélomane congolais détient peut-être la clé d’une renaissance culturelle : celle qui consiste à chérir ses racines tout en déployant ses branches vers le ciel infini des possibles sonores.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Eventsrdc
