« J’ai vu des flammes surgir près de la cuisine, puis tout le monde s’est mis à courir. Des femmes enceintes tombaient à l’eau comme des pierres… » Le témoignage étouffé d’un rescapé anonyme résume l’horreur vécue dans la nuit du 15 avril sur le fleuve Congo. À Nganda-Kinshasa, en province de l’Équateur, la baleinière HB/Ville de Mbandaka a sombré, engloutissant près de 100 vies selon le Panel des experts de la société civile de l’Équateur (PESOCIVEQ). Une tragédie fluviale de plus qui pose une question brutale : quand cessera cette hécatombe silencieuse ?
L’enchaînement fut implacable. Une passagère cuisinait à bord lorsque le feu s’est déclaré, déclenchant une panique incontrôlable. Dans l’obscurité, des dizaines de personnes – dont des enfants terrorisés – ont sauté dans les eaux tumultueuses du fleuve Congo sans savoir nager, sans gilet de sauvetage. « Comment expliquer qu’en 2025, on laisse encore des familles entières voyager sans aucune mesure de sécurité élémentaire ? » s’indigne un membre local de la Croix-Rouge, épuisé par les opérations de secours.
Ce drame n’est hélas pas isolé. Il s’agit du quatrième naufrage majeur recensé depuis janvier en RDC, portant le bilan macabre à plus de 500 morts selon le PESOCIVEQ. En juin dernier, un convoi de pirogues avait déjà chaviré sur le lac Tumba, près de Bikoro. Chaque fois, le même scénario : surcharge des embarcations, navigation nocturne risquée, et absence criante de régulation. L’insécurité maritime à Mbandaka et ses environs est devenue une routine mortifère.
Sur place, les secouristes luttent contre le temps et les éléments. Les opérations de sauvetage à Nganda-Kinshasa, appuyées par la Croix-Rouge et les autorités provinciales, se déroulent dans des conditions extrêmes. « Le courant est fort, la visibilité faible… Nous cherchons des corps, mais l’espoir s’amenuise », confie un plongeur, le visage creusé par la fatigue. La communauté pleure déjà ses disparus – pêcheurs, commerçants, élèves – dont les noms s’ajouteront à la longue liste des victimes de l’incurie.
En filigrane, c’est tout un système qui vacille. La société civile monte au créneau, exigeant des mesures urgentes : limitation stricte des passagers, interdiction des cuissons à bord, distribution de gilets et surveillance renforcée. « Ces accidents de baleinière ne sont pas des fatalités, mais le résultat de décennies de négligence », dénonce le coordinateur du PESOCIVEQ. Le naufrage du fleuve Congo symbolise un mal profond : la précarité qui force les plus pauvres à risquer leur vie pour se déplacer.
Alors que les familles attendent désespérément des nouvelles, une évidence s’impose. Sans réforme radicale de la sécurité fluviale, ces tragédies se répéteront. Combien de morts faudra-t-il encore pour que l’État assume enfin ses responsabilités ? Dans l’Équateur meurtri, le fleuve charrie désormais autant de larmes que d’eau.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net