Le silence de la nuit à Bukumu est rompu par le grincement des bidons vides. Depuis début juin, des milliers d’habitants du groupement Mudja, en territoire de Nyiragongo, se lèvent aux aurores pour une course épuisante : trouver de l’eau potable. À Turunga comme dans d’autres villages, les files d’attente s’allongent devant les bornes fontaines tarissant avant midi, plongeant cette région du Nord-Kivu dans une crise hydrique aux conséquences humaines déchirantes.
« Je me réveille à 2 heures du matin, mais même ainsi, l’eau manque souvent », confie d’une voix brisée Neema Kavira Judith, mère de cinq enfants. Ses mains tremblent en montrant les jerricans alignés. « La nuit, des bandits nous volent nos téléphones, nos bidons… Nos filles risquent le viol à chaque sortie. » Ce témoignage glaçant résume le calvaire quotidien de ces femmes transformées en porteuses d’eau malgré elles.
Derrière cette pénurie d’eau à Nyiragongo se cache une double menace : sanitaire et sécuritaire. Le Mouvement des sociétés civiles du territoire tire la sonnette d’alarme. « Les maladies hydriques guettent, mais le pire reste l’insécurité », insiste son président Bosenibwame Muzungu. Comment expliquer qu’en 2025, des Congolaises doivent encore jouer leur vie pour un besoin vital ? La réponse se niche dans l’abandon d’un projet crucial : le MDF, qui approvisionnait jadis Buhumba et Kibumba. « Sa suspension a privé d’eau des milliers de personnes », déplore Muzungu, pointant du doigt l’inaction des responsables.
Pendant ce temps, les autorités locales restent sourdes aux appels désespérés. Dans ce territoire où affluent les déplacés, la survie devient un privilège payant. Certains achètent l’eau à prix d’or aux camions-citernes privés, mais pour la majorité des familles de Bukumu, cette solution reste inaccessible. Ironie cruelle : des tanks d’eau privés rouillent dans la zone, symboles d’une injustice criante. Cette crise de l’accès à l’eau potable en RDC n’est pourtant pas nouvelle. Déjà en avril-mai 2025, les mêmes scènes de détresse se répétaient. Pourquoi rien n’a-t-il changé ?
La Regideso et ses partenaires brillent par leur absence, tandis que les organisations humanitaires semblent dépassées. « Nos camions citernes sont peut-être mobilisés ailleurs », suppose amèrement Muzungu. Cette pénurie eau au Nord-Kivu révèle une vérité plus profonde : l’abandon des zones rurales. Comment justifier que des villages entiers dépendent du bon vouloir des distributeurs informels ? Chaque nuit sans solution aggrave l’exposition des femmes aux violences, compromet la santé des enfants et sape la dignité humaine.
À l’heure où le monde célèbre les avancées technologiques, les femmes de Bukumu marchent dans l’obscurité, leurs seules armes étant la résignation et l’espoir ténu d’une intervention. La crise de l’eau à Nyiragongo n’est pas qu’une question de tuyaux bouchés ou de projets suspendus. C’est le miroir d’une société qui laisse ses plus vulnérables affronter seuls les dangers de la nuit pour un droit fondamental. Jusqu’à quand ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd