Interdire de parler, c’est souvent donner encore plus de voix. À Goma, ville entièrement contrôlée par les rebelles du M23 depuis janvier, l’ombre de Joseph Kabila plane sur des « consultations citoyennes » désormais invisibles. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC) a décrété un embargo médiatique total sur les activités de l’ancien président et de son parti, le PPRD. Une décision qui fait trembler les fondements de la liberté de presse en RDC et soulève un tollé international.
Dans un communiqué cinglant, Human Rights Watch (HRW) alerte sur les « conséquences néfastes » de cette censure. L’organisation reconnaît les progrès accomplis sous les 18 ans de présidence de Kabila, mais rappelle qu’ils furent « entachés de graves violations des droits humains ». Pourtant, insiste-t-elle : « Les journalistes ont le droit à la liberté d’expression pour couvrir le retour de Joseph Kabila, et le peuple congolais a certainement le droit de débattre de son rôle ». Une question rhétorique fuse : comment prétendre construire une démocratie en étouffant les voix qui interrogent le passé ? L’embargo médiatique Kabila pourrait bien produire l’effet inverse : « Une façon d’attirer l’attention des gens sur l’ancien président est de leur interdire d’entendre parler de lui ».
L’Union pour la presse du Congo (UNPC) rejoint ce cri d’alarme. Vendredi, elle a dénoncé une manœuvre pour « embrigader les médias », empêchant les journalistes d’être « la conscience critique de leur temps ». Comment le CSAC, censé réguler a posteriori, ose-t-il imposer une interdiction préventive ? Cette restriction médias brise un principe sacré : la presse doit rester l’historienne du présent, surtout quand un ex-chef d’État s’active dans une zone en crise. À Goma, Kabila a rencontré religieux, autorités traditionnelles et même des chefs rebelles – des échanges cruciaux pour comprendre les dynamiques du Kivu. Les en rendre aveugles, n’est-ce pas priver les Congolais de leur propre histoire ?
À l’Assemblée nationale, la colère gronde. Lors de la plénière consacrée au rapport annuel du CSAC, le député Séverin Bamani, expert en communication, a fustigé une gouvernance partiale : « L’actuel CSAC semble être dirigé pour faire plaisir soit au gouvernement, soit au président de la République ». Christian Bossembe, son président, est accusé de transformer l’institution en outil de censure politique. Ces restrictions médias créent un dangereux précédent : demain, quel autre sujet jugé « sensible » sera occulté ? La régulation ne doit pas museler, mais garantir l’équilibre. Or, ici, elle sert un silence forcé.
Les implications dépassent la simple actualité Joseph Kabila. Cet embargo sape les droits humains au Congo en bâillonnant le débat public. Comment évaluer l’héritage d’un homme qui a dirigé pendant près de deux décennies, marqué par des avancées économiques mais aussi par des massacres documentés ? La liberté de presse en RDC, déjà fragile, vacille sous ces entraves. Si la couverture médiatique est filtrée par le pouvoir, qui racontera les réalités sociales, les souffrances des populations de l’Est, ou les espoirs déçus ? Les autorités justifient-elles ces mesures par la stabilité ? En réalité, elles alimentent la méfiance et l’opacité.
La communauté internationale observe avec inquiétude cette dérive. Les droits humains Congo ne sont pas négociables, rappelle HRW. Dans un pays en reconstruction, où les blessures des conflits restent vives, la transparence est un rempart contre la manipulation. L’interdiction du CSAC, loin d’étouffer l’influence de Kabila, pourrait galvaniser ses soutiens et radicaliser les oppositions. Le peuple congolais mérite mieux qu’un monologue imposé : il a le droit de questionner, comparer, et juger par lui-même. Comme le souligne un éditorialiste kinois sous couvert d’anonymat : « Quand on ferme les fenêtres, l’air devient vicié. Et c’est toujours le peuple qui étouffe en premier ».
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd