Dans l’enceinte surpeuplée de la prison de Kangbayi à Beni, un sac de farine de maïs devient un symbole d’espoir. « Depuis que les prix ont flambé et que la ville s’est remplie de déplacés, notre ration quotidienne ressemble à un mirage », confie une détenue sous couvert d’anonymat, les mains tremblantes en recevant l’aide du Collectif des associations des femmes pour le développement (CAFED). Ce mardi 11 juin 2025, des vivres et non-vivres – riz, huile végétale, savon – ont franchi les portes du pénitencier, apportant un répit temporaire à ces femmes oubliées.
Eminence Benge, responsable de l’Association des femmes pour la nutrition à assise communautaire (AFNAC), ne cache pas son inquiétude : « Comment ces femmes peuvent-elles survivre sans accès aux ressources financières ou même à leurs propres productions ? » Sa question résonne comme un cri d’alarme dans une région où l’insécurité alimentaire frappe particulièrement les détenues. La double crise que traverse Beni – inflation galopante des denrées et afflux massif de populations déplacées – a transformé la détention en calvaire quotidien. Le panier de la ménagère a vu son coût exploser, plongeant ces femmes dans une dépendance totale.
Derrière les barreaux de Kangbayi, la précarité prend un visage féminin. Privées de tout moyen de subsistance, ces prisonnières subissent de plein fouet l’effondrement des systèmes de soutien familial. « Elles représentent la couche la plus vulnérable de notre société carcérale », analyse un travailleur social. Le CAFED Nord-Kivu souligne que près de 70% d’entre elles n’ont jamais bénéficié d’une assistance juridique adéquate, et dépendent entièrement de la solidarité extérieure pour leur survie. Cette action humanitaire urgente cache une réalité plus sombre : celle d’un système pénitentiaire congolais à bout de souffle.
L’assistance ne s’arrêtera pas à l’urgence alimentaire. Le CAFED prépare un plaidoyer ambitieux pour relancer les activités génératrices de revenus au sein même de la prison. « L’élevage de poules n’est pas qu’un projet économique, c’est une bouée de sauvetage pour leur réinsertion sociale », explique Eminence Benge. Cette approche fait écho aux initiatives précédentes comme celle de la MONUSCO qui, en mai 2024, avait fourni matelas et articles d’hygiène à cinquante détenues. Des formations professionnelles ont également été dispensées, créant un fragile réseau de compétences derrière les murs.
Mais ces efforts suffiront-ils à briser le cycle de l’exclusion ? Les spécialistes de la réinsertion des détenues à Beni rappellent que sans accompagnement post-carcéral, ces femmes risquent de replonger dans la précarité. La récurrence des aides humanitaires à Kangbayi révèle l’absence criante de politiques publiques durables. « L’autonomisation passe par la restauration de leur dignité », insiste une activiste locale. Alors que les conflits persistent dans l’est de la RDC, la prison devient le miroir des fractures sociales : chaque sachet de riz distribué est un rappel des défaillances systémiques qui condamnent ces femmes à la vulnérabilité perpétuelle.
Cette opération du CAFED s’inscrit dans une course contre la montre face à la dégradation des conditions carcérales. Alors que Beni continue d’absorber des vagues de déplacés fuyant les violences, la pression sur les ressources locales atteint un seuil critique. L’assistance aux femmes prisonnières RDC n’est plus une simple charité, mais un impératif humanitaire. La réinsertion des détenues de Beni devra passer par des solutions structurelles : réforme du système judiciaire, programmes de réhabilitation psychosociale et surtout, reconnaissance de leur droit fondamental à ne pas sombrer dans l’oubli derrière les murs de Kangbayi.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
