Kinshasa se pare des atours du théâtre ce lundi 9 juin, alors que l’espace culturel Tarmac des Auteurs ouvre grand ses portes pour la quatrième édition de ses Rencontres Dramaturgiques. Trois jours durant, jusqu’au mercredi 11 juin, la capitale congolaise vibre au rythme des mots et des passions humaines, dans ce rendez-vous biennal devenu incontournable pour les amoureux du théâtre contemporain en RDC. Placé sous le signe évocateur de « l’amour dans tous ses états », ce festival coïncide avec les 25 printemps d’Africalia, partenaire structurel de l’événement, créant ainsi une symphonie de célébrations culturelles.
Dès 20h ce lundi, la tragédie intemporelle de William Shakespeare, « Roméo et Juliette », résonne dans l’enceinte du Tarmac. Mise en espace par la talentueuse Sanae Assif, cette pièce mythique plonge les spectateurs dans l’Italie de Vérone où deux jeunes cœurs, Roméo Montaigu et Juliette Capulet, s’enflamment malgré la haine ancestrale de leurs clans. Présentée en matinée au public scolaire avant la soirée grand public, cette adaptation explore avec une intensité renouvelée les thèmes universels qui traversent les siècles : la puissance dévastatrice de l’amour face aux rivalités familiales, le poids implacable du destin, et cette fougue juvénile qui défie les conventions. Une question plane dans l’air kinshasaien : comment ces vers vieux de quatre siècles continuent-ils de nous bouleverser ?
L’œuvre shakespearienne, maintes fois adaptée au cinéma, au ballet ou à l’opéra, déploie ici toute sa modernité sous les cieux congolais. Elle rappelle avec force que les passions humaines, leurs élans sublimes comme leurs déchirements, transcendent les époques et les frontières. Roméo et Juliette demeurent ces archétypes éternels de l’amour tragique, où chaque baiser porte en germe un adieu, où chaque serment affronte l’hostilité du monde. La mise en scène d’Assif fait dialoguer le classique avec notre contemporanéité, offrant une réflexion aiguë sur les conflits qui déchirent encore nos sociétés et la capacité de l’amour à pulvériser les barrières sociales.
Mais les Rencontres Dramaturgiques de Kinshasa ne s’arrêtent pas à ce monument littéraire. Mardi 10 juin, place à « La Réunification des deux Corées » de Joël Pommerat, une mosaïque théâtrale contemporaine qui dissèque vingt fragments de vie amoureuse. À travers couples mariés, amants et amis, Pommerat explore les contradictions du sentiment amoureux avec une finesse chirurgicale. La programmation se poursuit avec « Histoire générale des murs » du Congolais Sinzo Aanza et « Quai Ouest » de Bernard-Marie Koltès, deux œuvres qui interrogent le vivre-ensemble, la violence sociale et les frontières – tant géographiques qu’intimes – dans une Afrique en mutation. Une véritable radiographie des passions humaines où se côtoient désir, jalousie, tendresse et désamour.
Sur scène, une pléiade de comédiens congolais – Sephora, Tatiana, Nadine, Georges, Angèle et d’autres – donnent chair et voix à ces textes exigeants. Leurs corps deviennent les réceptacles vivants des émotions portées par les auteurs, transformant chaque lecture scénique en expérience sensorielle totale. Entre les mots, la musique prend le relais avec des interludes signés Petit Wendo, DJ Salva et Marina, créant une atmosphère joyeuse et familiale où le public kinshasais se retrouve en communion artistique.
Ces Rencontres Dramaturgiques, événement phare du théâtre contemporain en RDC, accomplissent plus qu’une simple programmation : elles offrent un accès direct à la pulsation créative des auteurs. En faisant vibrer le public au rythme des mots, elles transforment le Tarmac des Auteurs en laboratoire où s’invente la dramaturgie congolaise de demain. Dans une ville souvent associée à sa frénésie urbaine, ce festival rappelle que Kinshasa possède aussi cette âme lyrique capable d’interroger le monde à travers le prisme de la fiction théâtrale. Trois soirées où l’amour, dans toutes ses déclinaisons – du plus tendre au plus brutal –, se donne en spectacle pour nous rappeler notre commune humanité.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
