Dans un plaidoyer historique, 75 lauréats du Prix Nobel, dont le gynécologue congolais Denis Mukwege, ont interpellé la communauté internationale dans les colonnes du journal Le Monde. Leur tribune, publiée le 4 juin, constitue un réquisitoire implacable contre l’inaction persistante face aux crimes qui déchirent l’Est de la République démocratique du Congo depuis trois décennies. Un cri d’alarme qui résonne comme un constat d’échec : comment expliquer que les atrocités documentées par le rapport Mapping en 2010 continuent en toute impunité ?
Les signataires rappellent avec force que le rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme avait pourtant établi une cartographie précise des crimes internationaux commis entre 1993 et 2003. Quinze ans après sa publication, force est de constater qu’aucune mesure concrète n’a stoppé l’enchaînement des violences. « Les problèmes causés par l’homme nécessitent des solutions portées par l’homme. Aucun pays n’est au-dessus des lois », martèlent les Nobel, soulignant l’urgence d’une réponse coordonnée face à cette tragédie humanitaire.
Au cœur de leurs revendications : l’application immédiate de la résolution 2773 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 21 février dernier. Ce texte crucial exige un cessez-le-feu sans condition, le retrait des troupes rwandaises du territoire congolais et la cessation de leur soutien au groupe armé M23. Les lauréats insistent particulièrement sur le démantèlement urgent des administrations parallèles érigées dans les zones occupées par les rebelles – une situation qui mine la souveraineté nationale.
Mais leur appel va plus loin : ils réclament la tenue d’une conférence internationale dédiée à la paix en RDC, qualifiant ce conflit de « oublié » des agendas diplomatiques. Cette plateforme de haut niveau aurait pour mission d’élaborer un cadre de dialogue inclusif en vue d’une paix « globale, juste et durable ». Une initiative qui pourrait enfin donner la parole aux victimes des crimes de l’Est-RDC, trop souvent réduites au silence.
La symbolique de cette mobilisation est lourde de sens : jamais un tel aréopage de consciences mondiales ne s’était levé d’une seule voix pour la RDC. Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018 pour son combat contre les violences sexuelles comme arme de guerre, apporte à cet appel un poids moral considérable. Les signataires exhortent sans détour les États et institutions internationales à agir « de manière décisive et sans délai ». Leur message est clair : la protection des droits du peuple congolais et le rétablissement de la souveraineté nationale ne souffrent plus d’atermoiements.
Cet ultimatum intervient dans un contexte sécuritaire particulièrement volatile. Les récentes avancées du M23, soutenu selon plusieurs rapports d’experts par Kigali, ont accentué les déplacements massifs de populations civiles. Les crimes documentés dans le rapport Mapping – massacres systématiques, violences sexuelles à grande échelle, recrutement d’enfants-soldats – semblent se perpétuer dans une indifférence quasi-générale. La résolution 2773 de l’ONU représente-t-elle le dernier espoir d’enrayer cette machine infernale ?
Alors que Kinshasa multiplie les dénonciations devant les instances internationales, cette initiative des Nobel pourrait constituer un tournant décisif. Elle place les crimes de l’Est congolais sous les projecteurs de la conscience universelle, rappelant que l’impunité nourrit la perpétuation des cycles violents. Reste à savoir si les puissances mondiales, souvent tiraillées par des intérêts géostratégiques contradictoires, auront le courage politique de traduire ces paroles en actes concrets. L’avenir de millions de Congolais en dépend.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: radiookapi.net
