La voix s’est tue, mais l’écho résonne encore dans les couloirs de Radio Okapi. Ce jeudi 5 juin, Kinshasa a perdu l’un de ses gardiens de l’information : Léonard Mulamba, premier rédacteur en chef congolais de la radio onusienne, s’est éteint après deux décennies de combat pour une presse libre. « Professionnel rigoureux, journaliste passionné et intègre », témoigne Amadou Ba, directeur adjoint, la gorge serrée. « Jusqu’à ses derniers jours, il n’a cessé de réfléchir à l’avenir de Radio Okapi. » Un ultime service pour cette institution qu’il a portée à bout de bras.
Qui, dans le paysage médiatique congolais, n’a pas croisé la route de ce pionnier ? Nommé en 2002 lors du lancement de la radio, Mulamba a bâti pierre après pierre la crédibilité d’Okapi. Dans cette nécrologie journaliste RDC, retraçons le parcours d’un homme qui traversa les crises les plus explosives sans jamais plier. « Maintenir la ligne éditoriale lors des élections de 2006 ou pendant les rebellions à l’Est relevait du parcours du combattant », confie un ancien collaborateur sous couvert d’anonymat. « Leonard savait résister aux pressions avec une élégance redoutable. »
Son secret ? Une éthique de fer trempée dans l’amour du métier. Ce rédacteur en chef Radio Okapi exigeait la vérification systématique des sources, rejetant toute complaisance envers le pouvoir comme les groupes armés. « Une information bâclée, pour lui, c’était une trahison envers les auditeurs », se souvient une rédactrice. Cette rigueur fit d’Okapi un rempart contre la désinformation, notamment lors des conflits dans le Kivu où les ondes sauvaient littéralement des vies.
L’histoire Radio Okapi se confond avec la sienne. Comment ne pas voir son empreinte dans ces reportages qui donnaient voix aux sans-voix ? Dans ces éditoriaux qui dénonçaient les violences sans tomber dans le piège du sensationnalisme ? « Il incarnait l’équilibre impossible : impartial sans être neutre, critique sans être militant », analyse le sociologue des médias Joseph Kalala. Un modèle qui forma des générations de journalistes, aujourd’hui disséminés dans les rédactions du pays.
Pourtant, derrière le professionnel se cachait un humaniste. Ceux qui l’ont connu évoquent un patron accessible, toujours prêt à écouter un jeune reporter en panique avant un direct. « Sa porte restait ouverte, même pour parler de nos doutes existentiels », sourit un ancien stagiaire. Dans un hommage médias Congo unanime, ses pairs saluent cette rare alchimie entre autorité naturelle et bienveillance.
La disparition de Mulamba survient à un tournant crucial pour les médias congolais. Alors que les fake news inondent les réseaux sociaux et que l’espace démocratique se rétrécit, qui prendra le relais de ces garde-fous ? « Leonard nous rappelait que le journalisme n’est pas un métier, mais une mission de service public », souligne Amadou Ba. Son dernier combat ? Préserver l’indépendance d’Okapi face aux tentatives de récupération politique – un sujet qui l’angoissait jusqu’à son lit d’hôpital.
Dans une interview poignante enregistrée pour les 20 ans de la radio, sa voix calme résonne comme un testament : « Notre force fut de croire que l’information juste pouvait apaiser les tensions. » Un héritage que Kinshasa enterre aujourd’hui dans la douleur, mais que les professionnels devront faire vivre. Car le décès Leonard Mulamba n’est pas qu’une page qui se tourne : c’est un défi lancé à toute une profession. Sa lumière s’est éteinte, mais la lampe qu’il a allumée doit continuer d’éclairer les ténèbres.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net