« Ils nous traitent comme des ennemis dans notre propre terre. Hier encore, ils ont fouetté mon voisin parce qu’il refusait de payer 800 francs à leur barrage. » Témoigne Jean*, cultivateur à Uvira, la rage au ventre. Son récit illustre une réalité glaçante : les milices Wazalendo, supposées protéger les civils du Sud-Kivu contre la rébellion M23, se transforment en bourreaux de ceux qu’elles devraient défendre.
Le dernier rapport de Human Rights Watch jette une lumière crue sur ces groupes armés soutenus par Kinshasa. Entre mars et avril, ces combattants ont érigé près de 47 barrages illégaux sur les axes Uvira-Bukavu et Fizi-Minembwe selon les organisations locales. « 500 francs pour les piétons, 1 000 pour les motos. Ceux qui protestent reçoivent des coups de crosse ou pire », dénonce une activiste de Baraka sous couvert d’anonymat.
Mais l’extorsion ne serait que la partie émergée de l’iceberg. Le document révèle des violences à caractère ethnique ciblant notamment les communautés Bambuté et Banyamulenge. « Ils nous accusent de soutenir le M23 parce que nous parlons une autre langue », confie une mère de famille de Minembwe, visage tuméfié. Comment des milices pro-gouvernementales en viennent-elles à reproduire les méthodes des groupes qu’elles combattent ?
La recherche de Clémentine de Montjoye pointe un paradoxe troublant : « L’armée régulière fournit des armes et une légitimité à ces miliciens, créant une zone grise où l’État perd le contrôle de ses alliés ». En avril, des cas de flagellation publique de femmes « accusées d’indécence » ont été documentés près de Kamanyola. Les Wazalendo s’érigent en police morale, justice mobile et percepteurs d’impôts illégaux.
Les conséquences humanitaires s’aggravent : 78 000 déplacés recensés dans le Haut-Plateau depuis janvier selon l’ONU. « Chaque jour apporte son lot de violences. Nos enfants ne vont plus à l’école par peur des milices », déplore un chef coutumier de Fizi. La société civile du Nord-Kivu parle désormais ouvertement de « stratégie de terreur ».
Face à ces accusations, les autorités restent étonnamment silencieuses. Pourtant, le droit congolais est clair : l’article 137 du code pénal réprime sévèrement le soutien aux groupes armés. Pourquoi les fournisseurs d’armes aux Wazalendo ne sont-ils jamais inquiétés ? Comment expliquer l’impunité persistante malgré les preuves accumulées ?
Human Rights Watch lance un avertissement sans équivoque : « Continuer à armer ces milices revient à signer l’arrêt de mort de la cohésion sociale dans l’Est ». Alors que le conflit contre le M23 s’enlise, ce rapport sonne comme un rappel cruel : la militarisation à outrance nourrit un cycle infernal de violence. Les civils, doublement pris en étau entre rebelles et milices pro-gouvernementales, paient le prix fort d’une guerre sans fin.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net